Le décor serait le croisement de 2 rues où des personnages vont et viennent. D’un côté, de l’autre, un stop. Des vélos à contresens des autos. Sur un des trottoirs vers 8 heures, une file d’attente pour le Centre des Impôts, longue et statique. Parfois les gens sont venus à deux. Ils parlent de ce qui vont dire peut-être. En face un petit jardin partagé avec compost et affiche « Ne pas donner à manger aux rats » et un arbre solitaire au milieu de rien de très identifiable. Même pas de pieds de tomates.
Si on tourne la caméra on voit des conteneurs à verre devant un gros bloc HLM et une maison rose. Et la terrasse en angle d’un café populaire « La lanterne ». Le bloc HLM ça fait du monde. Beaucoup de femmes arabes de tous âges, avec parfois-souvent des caddies très pleins. L’hiver un gros sac de sel avachi sur le trottoir. L’été des fleurs roses qui s’évadent du sol du petit jardin partagé. Ça passe vite l’été, comme un tube. L’hiver moins, c’est plus long en hiver. Nuit vers 5 heures.
La rue commence à monter après le croisement. L’hiver ça glisse. Mais on ne reste pas dehors, même les pies ne restent pas plantées sur les branches. Sur le trottoir en pente, vers 16 heures, les enfants déboulent. Un sur trottinette, casque jaune sur la tête, pas grand, l’enfant souriant, amusant. Le parent suit comme il peut, une poussette en suit une autre, des couleurs déboulent. Ils apprennent vite les enfants, les parents aussi mais moins.
Important, le camion poubelle vers 6 heures. 2 éboueurs ramassent. Mais à Noël ce seront 5 personnes qui demanderont des étrennes pour les éboueurs. Je ne sais pas compter ? Je reviens vers le café, en été le tamaris du jardin d’à côté penche vers sa terrasse, les branches rejoignent la guirlande d’ampoules lumineuses. Bleu, rouge, jaune, bleu, rouge… À la nuit les voitures se font rares sous la lumière orange des réverbères. Le café donne des concerts. Des debouts dans la rue, avec une clope, une chope. Ça parle. De quoi se parlent-ils pendant des heures, à quelques pas des musiciens, les debouts dans la rue? Peut-être ils ne s’entendent pas parler, à cause de la musique. Mais les hirondelles couchées, les merles aussi malgré le bruit. Je ne suis pas sourde.
Près de la terrasse du café, on voit, je vois, tu voyais des jeunes plus si jeunes, souples, gestes amples, casque audio. Qui des peintures murales, qui agitent des bombes puant le solvant. Beaux ces tagueurs, c’est évident, habités d’un mélange d’indocilité, de fragilité. Vers 19 heures ?
Fait froid maintenant les pigeons réfugiés sur les volets de la résidence étudiants, au dessus du café. Les piégeons beurk, leurs fientes beurk, parfois sur la tête. Beurk.
Plutôt lents à quitter ce bout de rue, les piétons. Ils ne marchent pas vite. Pourquoi marcheraient-ils plus vite ? On est bien là, non ? Tu n’es as bien ? Une baguette qui sent le pain chaud passe. Ça fait Doisneau. Tant pis. Vers 9 heure à la terrasse du café quelques attablés, café ou café cigarette, ou café ordinateur, ou café téléphone, ou café téléphone ordinateur cigarette. C’est tôt mais parfois une belle fille yeux cernés pianote déjà. Parfois un chat traverse vite le décor. Peut importe dans quelle direction,
Au croisement, il y a aussi quelques barres pour attacher les vélos et du chèvrefeuille qui déborde de la grille du Centre des impôts. Au printemps, des chinoises viennent en cueillir. Qu’en font-elles ? Des enfants passent par là pour aller à l’école pas loin. Et parfois encore la garde républicaine sur chevaux anglais passe. On croit rêver éveillé.
Tout ça fait assez Doisneau, je trouve !
Merci pour ce beau texte vivant et inspiré, Pascale.