Il n’y a rien à faire. Juste ça. Attendre. Aucune prise. Pas la peine de t’énerver. Faut attendre. Ralentir celui qui s’affole à l’intérieur. Tu n’es pas la seule. Les gens commencent à être nombreux à l’arrêt. Lignes A et B retardées suite à un incident. On ne sait jamais de quel incident il s’agit. Tu imagines. Puisque tu attends. Quel est l’imprudent à vélo qui s’est élancé trop vite devant le tram. Qui a fait un malaise un jour de canicule à l’heure de pointe. Ou une manif. Oui peut-être une manif. Un incident lié à une manif. C’est pas les raisons qui manquent ces temps-ci. Non, trop tôt pour une manif. Et tu attends. Tu laisses tes pensées visiter les alentours. Revenir à toi. Repartir en tous sens. En face, l’arrêt qui part dans la direction opposée. Un homme boit une bière en guise de petit déjeuner. Il est là tous les matins. Tu l’as déjà croisé. Des mères patientent poucettes à la main et cartables d’écoles jetées au sol. Balancements réguliers d’une main, téléphone de l’autre. Elles aussi elles attendent. Derrière elles, derrière l’arrêt, la boutique du concorde, love sex et promesses érotiques. Juste à côté, la boulangerie banette ouverte tous les jours. Café à emporter, baguettes qui sortent du four. Tu consultes les panneaux lumineux. Peine perdue. Pas plus d’informations que quelques minutes auparavant. Est-ce qu’il faut que tu prennes un bus? Oui mais un bus ça te fait faire un détour, tu seras en retard de toute façon. Tu es en retard. D’ailleurs ça sonne. Tu sens la sonnerie dans ton sac avant de l’entendre. C’est le patron. Tu sais ce qu’il va dire. Il ne veut rien savoir. Trois retards ce mois-ci. Tu ne réponds pas. Tu ne sais pas ce que tu pourrais lui dire. Tu l’entends déjà. Les clients payent pour un service. Quand ils arrivent au boulot, leurs bureaux doivent être propres. Les poubelles vidées. Les claviers dépoussiérés. Les sols astiqués. Et même les tasses de café laissées négligemment dans la cafétéria doivent être lavées, rangées, essuyées. Le patron n’aime pas que tu sois encore dans les parages quand les clients arrivent. Les travailleurs du jour. Tu ne peux pas les faire attendre. Tu ne peux pas vider leurs poubelles s’ils sont déjà là. Tu dois te faire toute petite. Attendre leur départ. Anticiper leur arrivée. Tu ne dois pas être vue. La règle dans ce travail. Ne pas être vue. Travailler quand les autres se lèvent. Disparaître quand ils arrivent. Et toi tu attends. Le panneau lumineux indique toujours la même chose. Tu hésites maintenant entre rappeler le patron. Dire que tu es malade. Que ton fils est malade. Que le tram est coupé. Il ne te croit jamais de toute façon. Il dit tu te débrouilles. C’est pas son problème. Lui il t’attend. Tu dois être là à l’heure. Tu hésites. Tu quittes l’arrêt du tram et les effluves du café qui montent du verre cartonné de la fille debout à tes côtés. Tu commences à marcher. Tu vas tromper l’attente. Tu te mets en route.
Beau texte Céline pour finalement tenter de tromper l’attente…
Merci pour ce moment de lecture un peu angoissant, l’angoisse du quotidien.