Dés la fin du long escalier mécanique aux marches de bois du métro, dés la fin du bruit discret des rouages du moteur qui l’anime, dés l’entrée dans ce couloir où la lumière extérieure par des hublots arrive, dés que je sors de la bouche, dés ce moment-là je commence à me sentir chez moi. Dans mon quartier, dans l’approche éminente de ma maison, même si c’est un appartement.
Place des Fêtes, Paris 20. Rassemblement de hautes tours blanches pleines de fenêtres carrées des années 70. Vaste parvis. Espace traversé de vent. La croix verte en néon de la pharmacie, jour et nuit. À l’odeur, aux sons je pourrais retrouver mon chemin, ou alors à l’habitude de mon corps de marcher un nombre défini de pas, de tourner ici, de m’arrêter là pour traverser.
D’abord passer entre un magasin Naturalia, avec une devanture rouge foncée, et un bâtiment jamais regardé. Puis longer la vitrine d’un bazar avec des cadres pendus, des écumoires accrochés, des couvercles alignés sur des étagères grillagées, argentées… Feu. Rouge ou vert. À l’orange, je passe. Traverser la rue, enserrant cette vaste place en forme de rien, plus ou moins rectangulaire, sans angle véritable. Les piquets du marché dressés les lundi et jeudi soir.
Un petit square isolé des regards par des grilles et quelques bosquets. Je n’y vais jamais. En son centre un étrange bâtiment, ancien et bas, comme un abri pour un puits. « Regard de la Lanterne ». Plaque céramique bleue avec un historique lu, oublié.
Rue Henri Ribière, courte, large, ouverte. Un garage à l’enseigne bleu » Speedy », d’imposants marronniers. Abris bus du n° 60, arrêt « Pixérécourt ». « Copie Dépôt » en grosses lettres rouges. En hauteur, l’enseigne d’un « Franprix » qui ne doit plus exister, car je n’en ai jamais trouvé l’entrée. Bancs de bois au carrefour.
Traverser la rue de Belleville qui monte ou descend selon. Colonne Morris recouverte d’affiches de pièces de théâtre, que je n’irai pas voir. Rue Pixérécourt. L’épicerie polonaise, ses poupées folkloriques en vitrine. Le fronton en mosaïque rouge où est encore écrit en lettres bâtons « BOULANGERIE PÂTISSERIE », devenue agence d’architectes, l’ancien gouge « Le Mercure», son comptoir usé, en entrant à gauche, où s’accouder encore et toujours pour boire un verre, ses quelques petites tables de bois pour les habitués. Ça c’est ce qui reste d’avant. Ensuite la rue prend une allure plus actuelle, plus banale. Des immeubles cinq étages, certains du milieu du XX eme, d’autres plus récents, plus hauts. Un square fréquenté par nounous et petits enfants à côté d’une crèche. Voix criardes des enfants et chantantes des femmes africaines. La rue s’élargit. La rue du Soleil en coude, où des files d’attente pour les distributions alimentaires se forment. Si longues qu’elles tournent rue Pixérécourt.
Redevenue plus silencieuse, la rue se dédouble avec, en son centre, un square où quelques arbres peinent à grandir, où parfois des enfants jouent au ballon. Trottoir pair des blocs d’immeubles hauts, balcons et baies vitrées des années 80. Trottoir impair moins récents les bâtiments. Quelques vitrines de professionnels indépendants en rez-de-chaussée. Un café avec quelques sièges en terrasse aux beaux jours. Des bacs de fleurs, rustiques, et de jeunes arbres encore fragiles sur le trottoir.
J’arrive dans ma cour. Avec sa végétation pimpante, elle a une allure de jardin coquet. Un lilas, un forsythia, un chèvrefeuille, des vrais arbres aussi… Portail métallique lourd qui grince pour entrer. Cour vraiment plus que verdoyante, entretenue collectivement. Dans un coin de grosses poubelles, plus ou moins planquées. Sous un grand sapin une banquette recouverte d’une vieille couverture, pour tous. On se croirait presque ailleurs. Où ?
Au fond, un immeuble de 6 étages. Modeste et ancien. Le mien. Les habitants du rez-de-chaussée ont aménagé : petite table de jardin, multiple pots de fleurs, des plantes en jardinières et des plantes et encore des plantes. Ils ont la main verte. La vieille porte d’entrée de l’immeuble. Un bloc de pierre, derrière, pour la maintenir ouverte, le groom ne fonctionnant plus, la porte basse de la cave d’où émane une légère odeur de moisi, la cellule électrique qui déclenche la lumière, les boîtes aux lettres en plus ou moins bon état, avec, en dessous, une caisse à livres pour qui veut en donner ou en prendre. Les escaliers aux marches presque régulières et silencieuses, les murs qui auraient besoin d’être repeints, les tuyaux à vue d’eau et de gaz. Gaz à tous les étages. Trois portes par palier. Au second souvent une odeur d’ail frit. Quatrième gauche. Mon tapis brosse rayé, mon nom sous la sonnette. La familiarité grandit, devient criante : mon chat miaule, m’appelle derrière la porte. Il a reconnu le bruit de mes pas, de mes clés. Oui je rentre Ulysse. J’arrive mon chat que j’aime.
J’aime vraiment beaucoup.
Et en plus, ça se passe à Belleville, ce beau retour chez toi !
Merci Pascale !
Merci à toi de ce retour. À Belleville, j’ai aussi habité rue Desnoyez dans les années 80. Que de changements depuis !
Dans les années 80, j’habitais 46, rue de Belleville…
Oui ça n’a presque plus rien à voir, mais j’aime encore y retourner !
Moi aussi.
C’était au 14 rue Desnoyez. Peut-être avions-nous au même bistrot ?