Elle dit qu’elle aime ça, c’est sa passion, vous c’est l’écriture et moi le ménage. Qu’elle aime nettoyer le sol genoux à terre comme sa maman lui a appris, que les nettoyants bio ça ne vaut rien, il faut que çà sente la javel, la résine, la chimie, le propre en somme, elle inonde tous les matins le devant des deux escaliers en comblanchien avec du détergent, elle passe la raclette et puis le jet d’eau sur les coulées d’urine au coin de la porte du parking, quand elle rentre dans l’escalier, elle passe rapidement le chiffon sur la poignée de la porte d’entrée. À la moindre trace, elle ressort son spray et son chiffon, elle n’a pas d’heure pour le faire. Elle dit qu’elle n’a pas eu la vie facile, sa mère, qu’elle aimait tant, qui lui a tout appris des secrets du ménage bien fait est morte quand elle avait quatorze ans.
Elle ne parle pas trop bien, mais sourit beaucoup, elle reconnaît les fidèles et porte la blouse rouge avec le nom du supermarché sur la poitrine, elle a les dents très blanches et espacées, de l’or jaune à ses oreilles, la peau très brune et des cheveux jais attachés avec des perles. Au pays, elle aurait peut-être mis une tige de jasmin. Elle scanne les produits un à un et, pivotant le buste, les glisse avec adresse dans un sac plastique, déclare le montant, tend la machine ou rend la monnaie et dit gentiment au revoir.
Elle court tout le temps, aux caisses pour les annulations, au point info pour les échanges, dans les rayons pour vérifier les prix. Elle travaille là depuis au moins vingt ans, elle est devenue responsable. Elle courait déjà tout le temps il y a vingt ans, ça lui a peut-être valu cette promotion, elle ne démérite pas depuis, elle a toujours pris son boulot à coeur, elle vieillit peut-être, je ne sais pas, on ne voit pas vieillir ceux qu’on voit tous les jours, je l’ai toujours vu cheveux en désordre, un peu en sueur et en train de courir…
Elle dit que c’est de l’art, elle est danseuse, elle danse et fait l’amour dans un filet au-dessus de la tête des spectateurs d’un petit théâtre de la rue Monge. Elle dit qu’il ne faut pas croire ce qu’on dit. Elle est ravissante, mutine, elle vit dans un studio tout neuf et presque sans meuble qui ouvre sur une pelouse comme si « j’avais un jardin », avec son chat, un birman qu’elle appelle Bobby, ravissant lui aussi.
Oui, la vraie tranquillité de la vie, on prend les choses comme elles viennent, on court on avance, on se teint la vie avec les moyens du bord, on existe. Merci Catherine de faire exister vos personnages. Ils vibrent
ah ben ça moi qui les trouvait un peu figés, c’est super d’être lue par vous Françoise !
L’envie de bien faire même lorsque que ce que l’on fait semble dérisoire. Bravo d’avoir su traduire cette tension là ( je me souviens de ma grand mère m’apprenant à passer la serpillière avec méthode et son expression : les angles ne vont pas s’approcher tous seuls … toute une science…)
« elle dit »… « elle parle pas trop » : merci de donner à entendre la voix et les pensées de ces femmes qui ne sont pas que geste et enveloppe externe.