Chaque jour et tout le jour je le passe à écrire, ou du moins à penser que je devrais, que je n’ai pas, que j’aurais dû, que je vais ou à me réjouir d’avoir en effet écrit. Je n’ai pas d’heure pour, mais un endroit à priori, mon bureau tourné vers la fenêtre d’où je vois l’immeuble d’en face, parfois un des jeunes hommes qui travaillent dans l’appartement en vis-à-vis fumer une cigarette à la fenêtre ouverte, le plus souvent rien. Je sens la ville autour dont les bruits me parviennent, les passages des voitures, les furieux qui klaxonnent longuement juste en bas à cause d’un malotru garé devant l’entrée du parking , la gardienne qui discute de sa voix forte avec un ou une passante, le jet d’eau qu’elle passe tous les matins à l’entrée de notre immeuble, le balai à raclette ensuite, le bruit du seau rempli de détergent, un aspirateur quelque part, les pleurs d’une enfant, les cris d’un homme, le miaulement du chat de la voisine, et à intervalles réguliers chaque matin, ce bruit de mains claquées l’une contre l’autre par je ne sais qui … Parfois et plutôt le samedi, une femme qui jouit. Souvent, je fantasme d’aller écrire dans un café, il est rare que je le fasse, je peine à m‘extirper de chez moi. Avant de m’y mettre, il faut que mon lit soit fait, la vaisselle lavée, la cuisine rangée. Le bureau reste dans son immuable désordre où se mélange les papiers administratifs et les feuilles en désordre de différents manuscrits en cours, des post-it bleus collés deci-delà sur le plateau du bureau ou sur mon écran qui me rappellent telle ou telle corvée ennuyeuse que je m’empresserai autrement d’oublier comme téléphoner syndic ou prendre RV ophtalmo ou envoyer manuscrit éditeur, chose que je repousse généralement jusqu’à un sentiment de culpabilité trop pénible. Il m’arrive de retrouver une amie au bois de Vincennes et nous allons écrire dans le café de l’ile sur le lac Daumesnil. J’y suis moins bien que chez moi, mais ce jour-là je suis sûre d’écrire au moins un peu. La première fois où j’ai véritablement écrit, c’était pourtant dans un café, à Joinville-le pont. Le café du Cheval Blanc situé en face de mon ancienne école qui se situait sur le chemin de mon lycée dont j’avais décidé à la dernière minute, ces décisions se prennent toujours à la dernière minute, de sécher les cours. Je m’étais rencognée dans la salle du fond au cas où l’un de mes parents passeraient devant, il n’y avait aucune raison qu’ils entrent dans le café, ils ne le faisaient jamais. Le seul café que j’ai vu mon père fréquenter était le Canon de la Nation de la place du même nom où l’on se donnait rendez-vous les jours de manifestations comme au Thermomètre place de la République dans des circonstances analogues et suivant le trajet du jour. Même le dimanche où il vendait L’Huma place du marché avec les camarades, face à mon ancienne école et au café du cheval blanc, il n’y allait pas. J’étais bien à l’abri dans ce café pas si loin de chez moi à un point de la rue où ni l’un ni l’autre ne passerait puisque à cette hauteur il n’y avait plus de commerce, à faire crisser la vieille banquette de moleskine, entre ces murs couverts de frisette de bois clair, face à mon expresso, boisson à moins d’un Francs si mes souvenirs sont bons et donc la moins chère à défaut d’être la plus appréciée qu’à l’époque je sucrais avec deux petits sucres cubiques que contenait un rectangle de papier de soie blanc en en réservant le troisième pour faire canard dans le fond de la tasse à la suite de quoi je réalisais une cocotte ou un bateau miniature dans cet emballage. Je contemplais pour me distraire les quelques pochards stationnés au comptoir dont la discussion tonitruante et échevelée remettait de l’ordre dans le monde. Par désœuvrement, je prenais note de leurs propos, pour me réjouir en douce de leur comique, puis mon regard s’arrêta sur le laveur de vitre qui s’attaquait à la devanture du café, un spectacle à proprement parler fascinant dont je pris également note m’imaginant plus tard faire ce métier (les questionnements au sujet de mon avenir étant à l’époque déjà très douloureux et ouverts aux suggestions les plus folles) Rendre leur transparence aux vitrines me semblait une mission assez noble, conforme à mon gout maniaque de la propreté, je m’en amusais, faisais un peu ma maligne, et ce faisant écrivais mon premier texte sur une feuille à gros carreaux arrachée de mon classeur que je n’ai évidemment pas conservée.
J’aime vraiment beaucoup cette douce déambulation sereine, comme le tempo du coeur qui lit, exactement cette pulsation, une sorte d’osmose immédiate avec le lecteur, hâte de lire un de vos romans… une telle plénitude et un dire vrai, et cette malice aussi, à travers des mots miracle : « je sucrais avec deux petits sucres cubiques que contenait un rectangle de papier de soie blanc en en réservant le troisième pour faire canard dans le fond de la tasse à la suite de quoi je réalisais une cocotte ou un bateau miniature dans cet emballage. Je contemplais pour me distraire les quelques pochards stationnés au comptoir dont la discussion tonitruante et échevelée remettait de l’ordre dans le monde. » Merci vraiment Catherine !!
Vraiment Françoise je suis sans voix mais au risque de vous décevoir vous n’êtes pas prête de me lire car les éditeurs ne semblent pas partager votre avis !
Et moi aussi comme d’habitude cela me plaît bien cette ironie douce mais mordante (douce et mordante, alors ? mordillante ?). Est-ce que l’on peut trouver quelques ébauches dans les chantiers de ces écrits que boudent les éditeurs ?
Merci Marion, ce truc là non, juste réponse à proposition. Mais j’ai un chantier en effet qui doit être encore là quelques part avec les autres chantiers. Et d’autres dans ma besace, j’ouvre beaucoup de chantiers ces temps-ci, je ne sais lequel verra un terme…
Beau et foisonnant parcours qui du bureau où vous écrivez aujourd’hui nous fait remonter jusqu’à l’origine, dans ce café de Joinville, et vous rendez si bien l’atmosphère des lieux différents. J’aime beaucoup les ambiances que vous suscitez, tous ces bruits au début, mais aussi les dimanches de manif et les habitués du café. Et puis cette phrase : « Rendre leur transparence aux vitrines me semblaient une mission assez noble »
Merci Laure, et grâce à vous je relis la chose et trouve un nombre invraisemblable de fautes d’orthographe, je me précipite trop 😉