Une citerne taguée, posée sur le parking d’une usine. Elle est verte. Vert émeraude, mais un vert passé, fatigué, délavé par endroit, des coulées de vert sapin alternent avec des coulées d’un vert olive. Un vert émeraude, mat, un vert émeraude qui ne serait plus précieux, mais au contraire, un vert utile, un vert d’outil, un vert militaire. Le gris et le marron patientent dans l’épaisseur de ce vert émeraude. Bientôt, ils apparaîtront, leurs temps viendront. Un vert émeraude qui est peut-être le fond d’un vert sapin. Un vert sapin qui aurait disparu, mangé par le temps, par la rouille, qui en petite tache orange le grignote, un vert sapin oxydé. Un vert d’algue mousseuse sur les rives de l’ estuaire, un vert qui sent la vase salée. Un vert des forêts sombres d’épineux, un vert qui s’accroche aux branches presque mortes. Un vert qui quelquefois devient bleu, condamné à se travestir en bleu sale. Un vert couleur du temps passé, couleur des années. Couleur de nos années. Un vert de maquette militaire, un vert de gouache en tube abandonné par un collégien, un vert d’aquarelle détrempé, un vert de feutre fatigué, laissé sans son bouchon par un enfant. Un vert qui n’a plus rien à valoriser. Un vert d’abandon. Un vert pour objet négligé par l’homme. Un vert qui ne sert plus qu’au plaisir des yeux du passant, qui n’ose s’approcher de ces couleurs interdites, alors il regarde de loin, il est dérangé, mais l’esthète qui est en lui enregistre l’image, souvent il ne dira rien de cette beauté usée, cela peut choquer, il garde ce vert émeraude pour lui, sa précieuse beauté cachée dans sa boîte à couleurs.
La synthèse soustractive des couleurs qui patientent dans l’épaisseur… Très touché par ton texte, merci Laurent!
Très beau texte. La déclinaison de tons de verts jusqu’à l’abandon participe à une forme de tristesse. La vieillesse ?
j’aime beaucoup
un vert couleur des années
il s’accroche à tes branches et aussi aux miennes
il est bien là, ton vert de citerne…