Comment ai-je pu oublier de cette fac ? Oublier cet endroit qui n’existe plus, cet espace intellectuel et politique devenu mythique. J’ai oublié la localisation dans le Bois de Vincennes, la configuration des bâtiments préfabriqués, leurs entrées, leurs pourtours, leurs alentours, les couloirs intérieurs, la taille et la forme des salles, les fenêtres et lumière qui entrait, les couleurs des murs extérieurs et intérieurs, les odeurs, les panneaux d’affichage, l’ambiance de la cafétéria et même les professeurs, les étudiants… Pourtant c’était ma première expérience universitaire, atypique. Pas de souvenir précis de ce lieu détruit sur ordre de Chirac, rasé en 1980, si ce n’est quelques rares traces d’images. Effacées par les années ? Première contradiction : je n’ai pas tout oublié. Ou alors j’ai fabriqué du souvenir, j’ai inventé des images de constructions basses pas si laides que ça, de couloirs extérieurs périphériques, couverts de auvents comme dans un pavillon japonais.
Que me reste t-il de notable de ces études, de cette période où je lisais Marguerite Duras, Hélène Cixous mais pas encore Gilles Deleuze ? Qu’en ai-je tiré ? Si je tire fort sur les fils de ma mémoire lointaine, aucun contenu théorique ou conceptuel n’apparaît, mais vient l’impression d’une fac lumineuse, animée, isolée, entourée de grands pins. Un faux souvenir de mélèzes, d’aiguilles et de pommes de pin par terre? Un tour de passe-passe de l’imaginaire ? Comme si ce paysage de vacances provençales pouvait se situer à Vincennes, ou plutôt comme si cette fac avait essentiellement un air de vacances, de liberté, d’éternel été.
Aucune mémoire des enseignements suivis, des échanges et polémiques, des apparences et discours des individus, des résonances des sons, des voix dans les locaux. Rien de tout cela. Mais demeurent des images d’une rencontre, très belle, faite sur le trajet dans le métro avec un autre étudiant. Peau très pâle, joues creuses mangées par une barbe fine et très brune, yeux noirs brillants, corps maigre, léger accent, D.R. Je pourrais le dessiner si je savais dessiner. Cette histoire d’amour a mangé mon année de fac, a gommé le reste. De net ne reste que ce palimpseste.
(tout ça, c’était exactement comme ça) (il y avait aussi des repas spécial moyen-âge où on cuisinait des plats sur recettes d’époque – on riait – on buvait du vin dans la soirée c’était bon – on riait, c’était l’éternel été, tout à fait ça) (exactement)
Merci de cet écho. Personnellement le vin je ne m’en souviens pas non plus, mais de la joie oui d’être là parmi les autres, oui..
Merci pour ce peu de souvenir !
Je n’ai pas du tout de souvenir de Vincennes. Tu m’en donnes un peu.
Je te suis reconnaissant ! Moi qui n’ai jamais mis un pied dans aucune fac…