Comme toile de fond marché animé, cosmopolite, populaire, bruyant, désordonné. Moi assise à la terrasse d’un café, sur une allée périphérique, j’observe comme souvent j’aime le faire. Au second plan, un marchand de chaussures, un autre de linge de maison. Je me demande sur qui porter mon attention parmi tout ce trafic chaotique, ce va et vient de personnes qui font leurs commissions, avancent, s’arrêtent, regardent, parlent, repartent, choisissent, payent, marchent…
Soudain, un vieil homme se détache de la foule, par sa lenteur. Il porte une épaisse barbe blanche et de sous son chapeau de paille clair dépassent quelques mèches encore belles et rebelles. Il marche si lentement, si précautionneusement appuyé sur une canne d’un côté, le bras d’une femme qui pourrait être sa fille, de l’autre. Ses lunettes à monture métallique, sa chemise blanche repassée, portée sous un gilet de laine malgré la chaleur, son pantalon clair le distinguent discrètement de la foule. Ses vêtements impeccables et classiques donnent des indices sur son milieu social. Prof ou ancien cadre sup sans doute. Que pouvait-il véritablement «être» lorsqu’il s’activait encore?
Malgré ses appuis latéraux, chacun de ses pas compte, coûte. Que fait-il ici et maintenant ? Où va-t-il, lui qui ne se fond pas dans cet endroit bruyant et agité ? Trop au ralenti, avec son dos vouté, son visage sans expression. Plus jeune, vue la silhouette qui lui reste encore, sa corpulence et sa taille, ma grand-mère l’aurait qualifié de bel homme. Il a encore une certaine allure, enfin lorsqu’il est immobile. Et il l’est souvent car il avance laborieusement, sans tenir compte du rythme de son environnement. Peut-être est-il devenu sourd.
Silencieux, la tête baissée, les yeux rivés au sol, là où il pose un pied après l’autre, dans ses chaussures fermées, il s’applique. A t-il peur de tomber si près des enfants qui courent, crient, le dépassent sans tenir compte de rien d’autre que du plaisir de l’instant, de la joie de jouer?
Maintenant il est passé, je ne le vois plus. Et moi je continue à me questionner sur son passé, comme si le présent ne suffisait pas.
Beau texte que l’éclairage sur ce vieil homme qui traverse le tableau au ralenti. Merci.