#40jours #09 | ils ont détruit l’abattoir.

De quoi ça parle bon Dieu !     De quoi ça parle?   De quoi ça parle?  De quoi ça parle ? Est-ce que je vais comprendre quelque chose ? Est-ce que je vais y arriver ?  Est-ce que ça me parle ? Est-ce que je vais parler du Père-Lachaise ? ça donne l'idée.  Je le connais bien, j’y étais toujours fourré jeune, est ce que je vais parler de ça et toutes ces  tombes et d’autres encore ? Non ! Et bien non et bien non et bien non et bien non!  Je vais plutôt  parler de Vallon en Sully, Vallon dans l'Allie et  du nouveau cimetière qu’ils ont construit, déjà pas mal rempli depuis le temps. Le cimetière où il est, parce qu’il parait qu’il faut de toute urgence dans ce cas là un ici-git. Mais n’anticipons pas. Revenons au commencement de cette fin. 

La salle mortuaire de l’hôpital de Créteil et sa douce pénombre, après avoir traversé des couloirs blancs éclairés aux néons. On arrive là c’est comme une crypte sous un château sûrement ça lui aurait plu ça lui plaît sans doute toujours on n’a plus la notion du temps quand on est mort. Le chiropracteur attend sans doute que je le félicite. J’ai rien dit du tout. Il a tourné les talons et peut-être qu’il était déçu. la belle affaire, j’étais pas du tout dedans. Je ne suis toujours pas dedans J’avais prévenu personne sauf mon frère qui avait dit je ne peux pas, j’y arriverais pas. J’avais prévenu que lui, mais sans rien attendre, rien, en prenant comme d’habitude le poids sur les épaules. Putain de poids, c’est notre père quand même ce n’est pas rien je ne peux pas j’y arriverais pas vas-y toi. Un sourire de petit enfant sur son visage figé… comme pour dire qu’elle bonne blague, pardonnez ou encore je vous ai bien eus. Et des gargouillis presque inaudibles mais que je ne pouvais pas ne pas écouter ne pas entendre. Et puis cet homme c’était mystérieux que ce soit justement lui qui soit là… tout le monde savait qu’il allait y passer, cancer du pancréas on sait déjà la fin à l’avance, mais lui devait être encore plus clairvoyant en plus. il connaissait la date et l’heure. Dans son costume de boulot, son costume de commercial, tiré à quatre épingles. Et ce petit sourire et sa poignée de main molle. Merde qu’est ce qu’il foutait là, comme si on ne pouvait pas dire au revoir, adieu à nos morts en paix, comme si le boulot s’introduisait partout jusqu’ici, dans l’ici git quasiment. Il y avait cet homme que je n’aimais pas, pas du tout, il me dérangeait. Même là je comprenais qu’on ne pouvait pas avoir d’intimité. Que dès qu’on y songeait un tant soit peu, on était forcément dérangé. Cet homme j’avais l’impression qu’il venait pour être sûr, certain. Et le mort souriait souriait souriait souriait comme un petit enfant. J’avais jamais vu ça de sa vie. Il se foutait de notre gueule à tous. Il était mort il commençait à se décomposer tranquillement sous nos yeux aveugles aveugles aveugles de l’avoir tellement vu, des gaz, une odeur, et ça ne s’arrêtait pas, je me disais que ça ne s’arrêterait jamais, ce foutage de gueule et l’odeur, je me disais que j’emporterais tout ça pour tout le temps restant et même au delà. Mais je lui ai tendu la main, quand même, une grande partie de lui était probablement allongée là à l’intérieur du corps en décomposition, il se débattait derrière son sourire commercial je le voyais bien, et il essayait aussi d’affermir sa voix. Je crois que lorsqu’il a vu que j’avais vu une grande partie du pourquoi il a tourné les talons, il est reparti par les couloirs surexposés, la lumière a grignoté sa silhouette, plus jamais revu. Alors qu’il m’avait laissé sa carte, si vous passez par Gentilly n’hésitez surtout pas. Comme s’il prévoyait de m’en raconter plein des inédites, comme s’il voulait faire partie de la famille. Jamais revu. Des fois je regrette, ce n’est pas charitable ni pour lui, ni pour le mort désormais bien mort et bien correctement enterré. À la cérémonie, l’enterrement juste des cousins, des collègues de notre père qui avaient absolument tenu à faire le déplacement « on lui doit bien ça » ils ont dit. Ce qui m’a ému presque au larmes, mais j’ai serré les dents, c’était visiblement de quelqu’un d’autre qu’ils parlaient, un homme inconnu, un homme sans enfant, sans famille probablement, un peu comme eux aussi, d’ailleurs ils étaient venus entre collègues, leurs épouses non. Mon frère, mon épouse et moi. c’est tout ce que nous étions et il n’allait pas tarder à pleuvoir, au loin au dessus d’Epineuil on pouvait déjà imaginer le grabuge. Vous voulez dire un mot m’a demandé le croque-mort, j’ai dit non. Ils ont saisi des cordes et ont fait glisser doucement le cercueil dans le caveau, c’était impeccable, sans bavure, et puis à reculons ils se sont retirés pour nous laisser la place. On avait apporté des fleurs, c’est mon épouse qui y a pensé, j’en ai donné une à mon frère qui l’a jeté comme on voit faire dans les films, il s’est tourné vers moi avec une drôle de figure, j’ai regardé il avait raté le cercueil, la fleur était tombée à côté. J’ai retenu un fou rire, mais c’était plus fort que moi, je reconnaissais là sa façon de botter en touche quand un truc l’emmerdai. Pas fait exprès il a dit comme si j’allais le gronder. Mais on avait passé l’âge, j’ai juste pleuré un peu pour coller aux circonstances et ne pas éclater de rire. Il fallait que je fume une cigarette, j’ai fait le tour du cimetière pour voir si je reconnaissais des noms, il y en avait plein, des types et des filles que j’avais connus ici à la communale. Ça m’a fait drôle, un soulagement, doublé d’une inquiétude. Probablement du au fait que tout cela est inexorable, comme un jeu de dominos, et qu’on ne sait jamais combien de temps nous sera encore alloué de rester debout. Après, les collègues sont repartis, ils avaient une sacrée route à faire jusqu’à Montpellier , et nous sommes allés déjeuner à l’allée des Soupirs, au bord du Cher. J’ai remarqué qu’ils avaient détruits les abattoirs, là où j’allais pêcher les poissons-chats dans des flaques de sang. Et puis à la fin, tout le monde est rentré chez soi. On s’est mis à faire des projets avec mon épouse tout le long du chemin, les héritages je crois que ça sert beaucoup à cela, à nous soulager de quelque chose, un genre de compensation. On y a été de bon cœur je me souviens. Il faudra trouver une maison avec un atelier mais pour ça sûrement s’éloigner pas mal de Lyon, à cause des prix. On avait tout de même pas un budget si extensible que ça d’après nos calculs.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

Un commentaire à propos de “#40jours #09 | ils ont détruit l’abattoir.”