Juste devant la véranda, j’installe la caméra juste là, dos à la véranda, petite pièce ajoutée tardivement, même pas une pièce, taille modeste et plastique blanc, juste de quoi ranger les chaussures, tables de jardin et arrosoir, et vaincre les courants d’air. Dos à la véranda, l’oeil s’oriente vers le jardin, foison de rangs de haricots, framboisiers dans lesquels les enfants se perdent, baies rouges et sucrées, bande de cousins, potirons et leurs lianes. On se faufile, on arpente les allées nombreuses, on prend l’escalier de pierre, on s’accroche les pieds dans le tuyau jaune qui serpente, on profite pour s’époumoner et encourager ceux qui jouent au foot, on passe devant la citerne, on se penche au-dessus, eau noire et stagnante, réserve de pluie, on s’y regarde, miroir étrange, porte d’un monde où l’on imagine une échappée, une vie sous-marine, un conduit vers la mer. Au fond, vers le mur des voisins, fils à linge verts et longs, pieds à moitié rouillés, vestige d’une famille au nombre d’enfants et de petits enfants dont deux paires de mains ne suffisent pas. Si on tourne vers la gauche, framboisiers encore et murs en pierres dont l’entretien laisse à désirer, haies pointues, divers refuges pour les chats, vieille niche au temps d’une chienne dont le nom m’échappe, à peine connue. On continue et on tombe sur la grille rouge, celle par là où on est arrivé, grille qui grince et qui résiste, coups de genou au besoin, et gravillons de l’allée, tulipes du printemps qui bordent la maison, une, deux, trois fenêtres, et on revient vers la véranda, on est face maintenant, devant la véranda, et l’oeil se fixe sur la porte d’entrée, on peut y entrer, s’y faufiler, porte de plastique blanc qu’on referme, et derrière, une seconde porte, celle de la cuisine, encore, et sa table longue aux mouches baladeuses, tapettes sur la table et lunettes de lecture, haut buffet, pas le confort moderne, les nouveaux propriétaires raseront tout à l’avenir, on ne le sait pas encore, ne laisseront que les murs, rompus à d’autres standards, plus rien de ce que la caméra a capté à l’époque. On entre et la fraîcheur des murs nous surprend, papier jauni et hachuré, gazinière et casserole sur le feu, machine à café et frigo, suivi de l’évier et de l’égouttoir à vaisselle, sous lequel se cachent des tiroirs, meuble intégré, où patientent couteaux aiguisés. On arrive au fond de la pièce, à nouveau, une porte, cagibi exigu où se rangent conserves et produits ménagers, et puis le buffet, tout le mur du fond occupé par le buffet, et si on ouvre les portes, on y trouve des piles d’assiettes, verres dépareillés, mazagrans et casseroles de toutes tailles. Sur l’espace central du buffet, photos de famille, photo encadrée du pape Jean-Paul II, images pieuses, médaille de la famille, diverses loupes, enveloppes et courriers récents. On arrive à la fenêtre, dont le rebord déborde du journal local, l’Est Républicain, d’une pile de Pèlerin magazine, La Vie et puis les cartes postales, les enfants et petits enfants, vadrouilles de part le monde, quand le monde est là dans la cuisine. Souvent le soir, quand la lumière tombe, on reste là, face à cette fenêtre, fenêtre sur le pré, le pré aux moutons, on voit loin, jusque chez les voisins, le pré des 14 juillet, des rituels alcoolisés, on voit encore le barbecue de l’été dernier, les tables tréteaux et longues planches, les feux d’artifice qui effraient les pommiers, et puis bientôt, le pré qui rétrécit, d’année en année. Ensuite long mur blanc, placard haut qu’on n’a pas ouvert très souvent, et puis dans l’angle, deuxième évier, évier pour ceux revenus des champs, du jardin, les mains pleines de terre, les ongles noircis, d’abord passer ici, sous l’eau de cet évier, et venir ensuite refermer la porte, soulever à sa droite la cafetière, est-ce qu’il reste du café?