#40jours #05 | La Varenne-Chennevières-1


Première version à chaud, juste après avoir lu le texte de François qui est apparut soudain alors que je visitais le site du Tiers Livre. considérer que cette apparition est déjà une forme d'énoncé, que l'exercice est intéressant à faire d'après un présupposé. Avant d'avoir les infos dans leur exhaustivité ( si on peut parler d'exhaustivité ici car l'imagination part presque aussitôt sur mille pistes) 
Ensuite sont apparus, dans l'ordre chronologique le texte de présentation  de #05,caméra tournante sur la page Patréon. Puis la vidéo. C'est aussi là que j'ai constaté à quel point j'attendais la consigne du 5 ème jour, à quel point je suis mordu.

Avenue des piliers plantée de part et d’autre de peupliers, à la Varenne-Chennevières, trois petites marches, non une seule, après vérification effectuée sur Google Earth ( je m’améliore, mais c’est surement une impression) une porte, lourde, un bref couloir, 1, 2, 3, 4 pas et tout de suite la porte droite, Valentine Musti/ Jean Antipine, deux noms, celui de ma grand-mère estonienne et de mon beau grand père russe. Mais on ne dit pas Jean on dit Vania. Frappe avant d’entrer dit une voix off, ma mère certainement, mais pas la peine la porte s’ouvre, ils nous ont vu arriver par la fenêtre. Retour dans la rue, oui il y bien une fenêtre qui donne sur la rue et les peupliers. Si je reviens vite à l’intérieur je peux vous dire ce que je vois par cette fenêtre : des arbres dont je connais le nom et qui se font appeler peupliers et puis en regardant la photo google, doute que ce soit vraiment des peupliers, c’est peut-être autre chose. Pas assez calé cependant sur les essences d’arbres, passons- et des maisons plutôt chics avec des jardins, des portails. Pas du côté de la rue où je suis, c’est plus mitigé, immeubles avec cour intérieur, derrière, sols en ciment, et maison ouvrières.

L’odeur tout de suite vous happe, dès l’entrée, dans le couloir même si je n’en ai pas parlé, une odeur d’oignons et d’ail frits, ils savaient que nous viendrions alors Vania prépare ses pirojkis. Déjà juste un pas en avant, l’odeur et la bouche se remplit de salive. Rapide coup d’œil pour se repérer, voir si tout est comme d’habitude. Important l’habitude pour se fier à une réalité ou plutôt pour ne plus trop la regarder, vérifier l’habitude plutôt que la réalité, plus commode, bien plus commode. C’est toujours le désordre, à droite sur le lit cosy non. Un ancien capitaine du Tsar combat le désordre. Les livres sont alignés au cordeau sur l’étagère, pas un seul grain de poussière. J’ai faim mon attention se déporte sur l’entrée de la petite cuisine, il les a déjà mis à frire, peut être va t’il bondir, aller chercher le plat… je peux déjà sentir le poids d’un de ces petits pâtés dans la main.

Et l’icône soudain me revient oui elle est toujours accrochée au chevet du lit ou Vania dort seul. Le long cou le beau visage et les yeux à demi clos, bien tristes, comme d’habitude. Ils font chambre à part Vania et Valentine, je le saurais plus tard, pour l’instant je ne sais rien je ne comprends rien. Clignement d’œil puis zoom sur l’emblème peinte sur bois, tête de mort et poignards croisés, emblème des troupes du général Kornilov, trop jeune pour savoir encore, pour comprendre. Elle me fascine cette image encore. Je me retrouve projeté quelque part, un grand lac, des chevaux qui galopent, et la surface se dérobe sous leurs sabots, ils disparaissent chevaux et cavaliers, trente survivants en tout et pour tout. Vania et ses fameux pirojkis. Icône et emblème des escadrons de la mort, au mur tout ça en vis à vis, comme un dialogue les deux objets se parlent silencieusement dans ma tête. L’œil fait un travelling; plusieurs, des va et viens de l’une à l’autre de l’autre à l’un. La religion et la guerre dans un angle comme ça, résumé et les gens qui font comme ils peuvent pour fabriquer leurs histoires dans ce carcan. Mais ce n’est pas une réflexion d’enfant, pour le moment l’enfant est enfant comme dans un début de chapitre de Peter Handke. Cocher ralenti tes chevaux.

Revoir le même appartement ce sont des couches et des couches qui se superposent comme dans un film, tantôt le mise au point est un peu flou, comme dans un super 8 d’amateur puis ça se modifie, ça change, le temps est bizarre lent parfois ou à l’accéléré, les objets bougent et fabriquent le fameux désordre, cette habitude du désordre dont on s’entoure vous savez. Vania torse nu tente de combattre mais en vain, des bataillons entiers de cravates le submergent. Et Valentine avec sa voix de fumeuse invétérée dit quelque chose, mais la bande son saute, bégaie, est hachurée, ou bien se mixe à d’autres mots pour que le tout devienne incompréhensible, mélange d’estonien de français et de russe. Et elle, Valentine ponctue tout ça en lâchant une bouffée de fumée et un je vous merde qui surnage dans la mémoire des sons, la mémoire des voix.

Buffet Henri 4 on n’y échappera pas, surtout pour se dégager d’un trop plein d’attention, c’est là qu’est rangée toute la vaisselle du dimanche. j’admire l’ouvrage , pareil, un beau désordre le goût, on aime on n’aime plus on aime à nouveau, avec par ci par la quelques pauses, des moments d’indifférence, une absence inopinée d’avis sur la question. Un style comme un autre Henri 4. D’ailleurs l’oncle Henri s’est réveillé, il est désormais dans l’encadrure de la porte de la cuisine, sa stature de colosse me bouche la vue sur la friteuse, quand donc va t’on passer au pirojkis?

Les adultes parlent, je photographie du regard les lieux, clic clac kodak juste en clignant des yeux et à la louche sans m’appesantir, cadrage à la volée, sans m’occuper exagérément du diaphragme, de la vitesse d’obturation non plus, en laissant le doigt sur les touches décider : fleurs artificielles posées dans un vase, sur un napperon de fausse dentelle, lui même recouvre une partie de la table ronde devant la fenêtre. Des voitures passent, des passants passent, les cravates sont éparpillées un peu partout, l’emblème de Kornilov est mangée par l’ombre mais personne ne pense à allumer la lumière. Ça parle, plaisante, rit, je passe dans la salle à manger qui est aussi la chambre de Valentine. La machine à coudre- faut-il préciser Singer, ou dire tout simplement la Singer trône sur la table, bref tout ça est là, sur une petite table devant une autre fenêtre. L’odeur de disque bleue prégnante, un mégot qui fume encore dans un cendrier Cinzano, un cliché facile serait d’ajouter un peu de rouge à lèvre sur le filtre, un peu plus loin une grosse télé dans laquelle on doit mettre des pièces, de combien par contre je ne sais plus, en vrai je ne l’ai même jamais su, des pièces pour la mettre en route. Payer à tempérament son programme du soir, la mire de l’ORTF, Léon Zitrone, et tout, déjà Michel Drucker, mettez donc la monnaie pour voir.. On ne l’allume jamais mais elle est là. Un canapé lit replié et des cravates posées dessus, des cravates partout, de toute matières et coloris si bien qu’à la fin je sens quelque chose qui m’étrangle… peut-être les pirojkis que j’ai avalés en me souvenant de leur goût unique beaucoup trop vite, je ne suis qu’un enfant qui ne comprend rien à rien. La mouche du coche m’a t’on dit déjà plusieurs fois. Peut-être que dans 1000 ans on aura tout des yeux de mouche, grâce à l’avidité de vouloir tout voir dans le menu, tout avaler tout rond, à moins que ce ne soit la trouille qui nous modifie les gènes, la trouille de ne pas avoir encore assez, de vouloir toujours plus, de toujours manquer, la trouille de vivre surtout plutôt que la trouille de crever.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

3 commentaires à propos de “#40jours #05 | La Varenne-Chennevières-1”

  1. Oh la bonne odeur de pirojki, qui tourne au rythme d’une caméra mentale à 360 degrés avec son lot de souvenirs puissants…
    Merci pour ce beau texte !