Probablement, je dis bien probablement, un immeuble de bureaux à façade grise et baies normalisées, grimant tous les étages avec lumière fixe même la nuit même plus faible et on devine cloisons et presque le mobilier, les ordinateurs sur table et au rez-de-chaussée près de la porte d’entrée sans autres indications que d’incompréhensibles acronymes, un sas avec ouverture à distance et sur le bord gauche de l’immeuble (tous travaux impliquant réalisation de parkings) une rampe avec feu rouge feu vert et portail basculant et vérification de carte d’autorisation pour que les employés des bureaux ou leurs dirigeants aient accès pour leur véhicule et probablement, je dis bien probablement, au troisième sous-sol là où serait le changement de niveau un autre portail métallique sécurisé celui-ci sans autre indication que l’interdiction de stationner et probablement, je dis bien probablement, un ascenseur à usage exclusif depuis l’un des étages au-dessus menant directement à ce niveau inférieur, et probablement, je dis bien probablement, un système puissant aussi, plutôt par circulation fermée de liquide que ventilation aérienne qui ici serait trop facile à dépister et probablement inefficace, dans des caissons cloisonnés à dimension des fondations de l’immeuble : les parcs souterrains de serveurs sont anonymisés et indétectables dans le sous-sol parisien.
On butait soudain, aux limites de la ville, sur cette étendue comme banale, de l’herbe rase et rien à voir, sur la carte IGN (on se servait alors de cartes papier qu’on dépliait) une étendue aussi blanchâtre que cette herbe malade, la surprise venait qu’au débouché de la brève rue droite dans ce recoin arrière de l’aéroport maintenant voué aux marchandises et aux avions privés c’était une installation massive de barrières et grillages, du drapeau national et que les militaires armés chargés du contrôle d’un éventuel véhicule entrant étaient en tenue de marins – quoi, il y aurait la mer ici – on distinguait quelques casemates à peine émergeant du sol et plus loin des antennes qu’un peu plus tard l’arrivée des réseaux de téléphonie mobile et leurs pylônes rendraient si banales : à Dugny la base souterraine gérait depuis la région parisienne les déplacements des sous-marins atomiques et des autres forces navales, tout ça devenant peu à peu obsolètes et les exigences d’urbanisme de futurs jeux olympiques la balayant enfin d’un seul coup de gomme pour l’expansion de la ville.
Comme je m’étais perdu, la première fois, puisque de la quatre voies tu ne vois rien, tout est en surplomb et rien qu’une zone industrielle de plus, une zone industrielle banale mais pourtant c’était bien là cet hôtel Mercure réservé pour trois nuits en fait il fallait prendre la bretelle, grimper et passer deux ronds-points, par curiosité tu étais allé voir au bout et là tout moderne, l’imprimerie travaillant à pleine nuit du grand quotidien local et puis à côté, en face de l’usine à palettes et ses montagnes de stock le bâtiment mat et noir où transitaient toutes les données administratives et là, à peine garé devant l’hôtel au milieu de la zone tu comprenais : une barrière ou deux voitures sur la bretelle et tu la sécurisais entière, la zone sensible, à trente-cinq kilomètres de la métropole régionale.
Je revois cette maison très étroite, dans une rue étroite aussi, après un carrefour d’autres rues pareilles mais donnant vite sur l’avenue au grand château-fort des puissances du métal on pourrait imaginer une sorte de pension pour étudiants, un escalier tout étroit et une suite de fenêtres superposées verticalement, une par étage (ou peut-être que j’exagère, deux ? mais non je ne crois pas exagérer) et comme aussi une pension pour étudiants une sonnette par étage et le nom sur l’étiquette – c’est au sixième étage celle qui vous a mené là, juste parce que vous aviez repéré l’adresse : centre-ville de Luxembourg la terne et minuscule chambre de bonne d’iTunes pour que transitent ses milliards.