Poignée ovale forgée repeinte gris clair devant fenêtre à croisillons et rideau donnant sur jardin mais savoir puisque tu as le droit de toucher que sa main aussi chaque matin d’été y appuyait pour la tourner : poignée de fenêtre dans la chambre de Balzac à Saché.
Balustrade de pierre au-dessus de la ville face au couchant et le soleil rasant embrase lentement les toits, c’est juste un peu plus tard que les éclairages publics feront ressortir les clochers de la masse devenue plus sombre des maisons et que les étroits immeubles du centre-ville émergeront comme des bateaux – une arche au-dessus de l’immuable statue du fondateur de la ville et un peu sur la gauche l’arbre où Poe venait s’adosser et Lovecraft quatre-vingts dix ans plus tard s’y adossant à la même heure pour la même raison : Prospect Terrace à Providence au crépuscule toi quatre-vingts dix ans plus tard adossé au même arbre.
Dans la cour étroite et un peu noire même dans le creux d’après-midi (le soir il y aura au moins les lumières éclairant la vitrine du restaurant qui en fait le fond) au pied de la porte menant par un couloir barré par digicode à l’escalier et probablement maintenant l’ascenseur des appartements côté gauche juste l’empreinte plus pâle d’un rectangle avec quatre cercles ronds où étaient les vis, et les trous de fixation vide : quelqu’un au 32 rue du Faubourg-Montmartre un jour a volé la plaque signalant qu’ici vécut Isidore Ducasse, comte de Lautréamont.
La fenêtre sur la terrasse, le poste de télé à écran large sur une table basse, un lecteur de DVD et bien rangés une pile de films dans leur boîte plastique plutôt des opéras ou des documentaires d’histoire, certainement pas de fictions, des revues littéraires, au mur au-dessus de la cheminée une photographie des parents et sur le poêle vissé à la cheminée le quotidien régional du jour – au restaurant juste à côté on s’était vidé joyeusement la bouteille de vin blanc il s’était absenté pour les toilettes, au fond du couloir mais je n’aurais pas osé y aller explorer, c’est à ce moment-là que j’ai sorti l’appareil de ma poche et fait cette photo finalement un peu floue comme pour prouver que c’était une photo volée, d’ailleurs ce n’est qu’après son décès que je l’ai utilisée : mon déjeuner avec Julien Gracq et l’après-midi ensuite à discuter dans sa pièce familière.
Tu regardes cette porte on est dans un quartier où maintenant tu n’oses pas imaginer qui a le droit de louer ou d’acheter ou s’installer, peut-être que la porte est la même, ça dure longtemps une porte même si désormais de couleur vivre et renforcée mais les charnières et fermetures semblent bien attester de la relative ancienneté puis les pavés à la jonction du seuil (les marques ovales d’usure sur la pierre du seuil) et de la rue en tout cas sont les mêmes mais ça te dit quoi, t’enseigne quoi, rien que cette incidence et superposition, même pas de silhouette qui se détacherait de la rue tellement banale, pas de commerce, des voitures en sens unique, des plaques d’officines, les grilles courbes de métal d’un parking à Velib, pas de silhouette qui fantôme passerait par la porte un instant entrebâillée pour se perdre dans les ombres : inventaire des trente-deux chambres que Baudelaire a occupées dans Paris.
Dans cette rue légèrement courbe, toute une suite de ces petits garages chacun sa spécialité, mais quand même principalement carrosserie et peinture, ou batteries amortisseurs, ou pneus mais si les enseignes étaient aussi colorées de chaque côté, sur le bord convexe comme des cahutes parpaings tôles, et côté concave des troglodytes dans la colline si ronde qu’on n’imagine pas la nature faire aussi rond – à l’époque ce n’était pas si surveillé, des grillages, une haie, des sentes qui passaient là-dedans avec des canettes ou des seringues mais on y grimpait facilement malgré les panneaux e vietato etc, jusqu’au sommet arrondi mais presque plat tout plat sur cette sensation de terre creuse et cet olivier maigrelet, un olivier qui n’aurait jamais poussé : sur le Testaccio, à Rome, période villa Médicis te voilà pour la première fois devant cet olivier rabougri mais increvable, tel qu’exactement décrit par Rabelais puis tel qu’exactement décrit par Cervantès.
merci François de donner à voir et comprendre la proposition . Merci pour ces traversées d’écriture, ces immeubles qui émergeront « comme des bateaux « , ces gonds qui auraient tenu jusque-là, cette photo volée ou cet olivier rabougri. À Saché, Rome, Terrence, Paris… en extérieur ou intérieur jour/nuit. On a envie de s’embarquer même à pieds et de se risquer à voir
merci – c’est venu sans préméditation, l’idée de faire moi-même les exercices, on verra bien si je tiendrai ! je sais ce que j’ai à y gagner – l’avais fait dans le cycle ville, mais sous pseudo – après, faut pas que ça trouble le jeu pour les autres
Rencontres sensibles à travers le temps. J’ai lu ton texte il y a quelques jours déjà, la main de Balzac sur la poignée de la fenêtre me hante et me fascine.