C’est une petite maison blanche dans une rue à sens unique, à sa droite, la même maison blanche avec la même porte bleue, à sa gauche, la même maison blanche dont seuls les rideaux osent se distinguer, et le numéro sur la porte, c’est vrai ; on les appelle les maisons de « pensionnés » – entendez « les gens pauvres » – et les dalles devant chaque porte bleue est usée par les heures d’errance statique de deux pieds qui s’ennuient sous une vieille sonnette, sein de métal et son téton de bakélite, qui retentit rarement :
derrière la porte, le silence de la mère qui s’est barrée, ma mère, celle que j’attends, celle que je pleure, que j’aime et que j’abhorre, celle qui ne rit pas si souvent sous les caresses de l’amant pour qui elle a laissé mon père, mes sœurs et mon frère
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C’est une cheminée banale qui ne chauffe personne en hiver – le ramoneur n’est pas passé. Sous un poêle en fonte dont la vitre sale cache s’il est au charbon ou à bois, une cavité comblée de vieux journaux en attente d’être consumés ; au-dessus, une poutre vernie, fendue par le temps, sous un chemin de poussière qui serpente entre une saucière Royal Boch, un chat ciselé dans du papier mâché peint en noir, le regard figé d’une laide photo aimée, un rhinocéros en bois venu d’Afrique (mais de quel pays ?), une poupée russe dont on ne sait si elle est seule ou habitée, un vase en cuivre surmonté d’un couvercle :
mon grand-père
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Déambuler dans les villages les uns après les autres, en voiture, longer les ponts en bois, en pierre, en dur et en interstices, surprendre des murs délabrés à côté des maisons neuves et des échafaudages délaissés, compter les trous dans les murs, rouler trop vite et fermer les yeux pour se rappeler les rues qu’on a traversées et le nom des villes :
Zagreb, Novska, Rajić …
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Derrière la porte fermée, on devine les ombres à travers le carreau brouillé, des allers-retours et des chuchotements, la musique des mots rassurants, un endroit tenu à l’écart des curiosités, la tension, l’attente à l’intérieur, l’attente dans le couloir, tout le temps de détailler le chaos du couloir avec les courses dans des caisses par terre (biscuits, yaourts, chocolats, conserves, pains, biscottes, éponges, Saint-Feuillien blondes, bouteilles de Champagne à 13€), les courses dans des caisses sur le meuble (plants de tomates, chips, cacahuètes enrobées au paprika, gouda sous vide, boîtes de thon, salami, salades en sachets, Tuc, Danette, Nesquick, Chokapic, dosettes pour le lave-vaisselle, dentifrice), les plantes (le yuka, les orchidées, les ficus, le papyrus), les cadres sur les murs (le combat du dragon le dimanche de la Trinité, les portraits éthiopiens, la chanson du Doudou, les photos de la communion), un couloir en apnée :
Le petit chat est né
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Pas de voiture en mouvement, juste la route chauffée par le soleil où les enfants sages ondulent sur leur vélo à la fin de la journée, fatigués d’avoir crié, ri, joué, inventé, avec quelques écorchures et des poussières dans l’œil, les poches gonflées de pommes trop vertes, le goût du blé mâché pendant des heures, un cerf-volant cassé jeté dans l’herbe du pré qui longe la route chauffée par le soleil où les enfants sages ondulent sur leur… :
Inspiration de joie, le marchand de glaces
encore une variation sur ce que j’avais proposé, mais la syncope avec l’après double-point est d’autant plus surprenante !
Jolis enchaînements de descriptions et chaque fois à la fin, la pirouette, qui m’a fait revenir au début pour relire d’un autre oeil : la magie du :
Deux points n’ouvrons plus les guillemets ? La chute tombe à chaque fois sur une grêle brève de possibilités. Je comprends maintenant le procédé. Merci pour l’exemple.
Décrire pour montrer sans image et happer l’attention de lecture en la focalisant sans lasser. C’est sportif. Reste à savoir quels mots et quelles images retenir d’un tel dépôt de sens et de sensorialité, le style vient-il du contenant ou du contenu ? Les arrêts et les amorces sont comme des pierres d’angle :
C’est une petite maison
Derrière la porte
C’est une cheminée
Mon grand père
Déambuler dans les villages
Zagreb …
Derrière la porte fermée
Le petit chat est né
Pas de voiture en mouvement
Inspiration de joie, le marchand de glace
Stroboscope plus que syncope après les : mais en douceur…
Enchaînements et Pirouettes dit Juliette, oui, il y a de l’acrobatie verbale là-dedans.
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Je ne sais pas s’il faut commenter les commentaires 😉 mais merci pour le temps offert.
Votre texte me donne une piste : que faire d’une description si l’auteur n’y montre pas le bout de l’oreille ? Vous le faites bien et on vous suit.