l’intérieur de la station RER Châtelet les Halles lumière blanche murs carrelés sols élimés une femme blanche à droite presque floue dans son tailleur noir se dirige quelque part vers les machines elle est loin derrière un homme fatigué qui pousse son cadis rempli de coussins couvertures tas d’objets en désordre aux coins noircis il ne bouge pas il regarde un panneau ou la flèche sous le panneau : je passais là tant de fois tard le soir tôt le matin je sens encore l’odeur humide la javel puis l’épaisseur de l’atmosphère sur mes yeux
un chantier désolé bientôt la nuit trois points de lumière jaune éclairent un sol éventré où jaillissent des morceaux de béton comme une montagne anguleuse à gauche deux bungalows bleus roi se superposent : solitude des espaces où travaillait mon père
un salon meublé éclairé par cinq lampes de poche sur la table ronde une nappe fleurie des bouteilles des couverts du sel du poivre des serviettes froissées trois assiettes contenant un repas inachevé et enveloppé de moisissures une télé juste en face un escalier à gauche garni de livres quantité de poussière remuée : non loin du moulin d’Andé en Normandie avec une bande de réalisateurs en résidence nous visitons cette maison quittée par ses habitants en plein repas j’ai peur
une salle de bain ornée de dorures mobilier en marbre et en guise de pommeau de douche une chaussette Adidas usée : campagne mexicaine parmi d’autres où vivent en famille les experts de l’inachevé qui se sont enrichis « de l’autre côté »
quai A de la gare de Narbonne tout au bout en plein soleil un coquelicot regarde le TER bondé qui s’apprête à recevoir une vingtaine de passagers : week-end de Pâques dans le sud de la France
sur le sol gris du trottoir un lit éventré un tapis des coussins une montagne de poubelles et de cartons des couettes pliées un canapé démembré lèche une publicité pour « Sauvage » de Dior : rencontre ordinaire sur la Canebière à Marseille
J’aime ces tableaux précis aux contours flous que j’emplis avec ce que je reconnais ou ce que j’imagine.