Ruelle tortueuse d’un village agricole de la plaine maisons serrées contre l’hiver façades blanches roses jaunes greniers à grain colombages poulies rouillées pas un bruit pas un pas pas un passant ce midi de juillet caniculaire et pour savoir qui franchissait la porte cochère le vendredi il faut lever les yeux sur la plaque en petits caractères : synagogue de Rouffach
L’été sur l’immense façade grise grège beige l’emprise de deux blocs un paquebot de béton échoué sur le toit plat l’étoile rouge pâlie et quatre lettres dont on ne sait plus rien БИГЗ cent deux cents combien de fenêtres fermées percées absentes ouvertes aux pigeons quel usage quelle destination avant le naufrage quelles machines et qui pour les faire tourner en contrebas la quatre voies s’écoule vers le nord vers le fleuve et la Hongrie sans un regard pour : Beogradski Izdavačko-Grafički Zavod Imprimerie Nationale de Yougoslavie
Cinq étages d’un immeuble 1900 que rien ne distingue de ses voisins du Raval sauf l’enseigne de néon projetant sa blancheur sur le trottoir cinq étages vingt fenêtres ça fait combien de chambres avec celles qui donnent sur l’arrière on voudrait savoir qui dort là à présent et qui pour se souvenir des locations à l’heure des punaises des lavabos pour toilette sommaire pas sûr que le réceptionniste colombien sait quelque chose de la surveillance des coups fourrés du désir contrarié des hommes qui passaient la porte tambour de la : Pensión Selecta
Le quart de la ville entre le quai Michelet la rue Baudin la rue Clément Ader la rue Anatole France hauts murs de briques grises percés de verrières en verre armé les néons derrière par rangées aveuglantes la rumeur de l’industrie qui martèle soude assemble les types en bleu les types en blanc leurs brunes sans filtre et les 2CV brillantes qui partent en file parcourir le monde le soir le matin la sirène maintenant le silence des bureaux opaques là où grondait : l’usine Citroën de Levallois
Sept étages que frappe le soleil sans rival les balcons personne ne s’y risque plus le vent monté du port fait claquer les stores bleus et grincer les paraboles rongées par le sel l’escalier est plongé dans le noir l’ascenseur désossé ça pue l’oignon les épluchures qui macèrent l’huile de cuisson sept étages et combien d’habitants là où seule la moitié pouvait tenir on frôle des ombres de palier en palier et sur les boîtes aux lettres parfois encore lisibles les noms des absents de la : rue Bastide d’Alger
Un rectangle d’herbes hautes luzerne blé vert coquelicots peut-être et deux haies de troènes libérés de la taille quand la pluie abat les herbes affleure la trace des fondations rectangles dans le rectangle là où se trouvait la cuisine là où se trouvait le salon les herbes de la grande plaine ont si vite colonisé le terrain qu’il est impossible de savoir quels drames quelles joies quelles Chevrolet occupaient cette parcelle du cadastre ancien au : 2514 Lakewood Detroit
Et ce carnet d’adresses adressé aux absents est juste magnifique, merci
J’aime ces descriptions denses et mouvantes qui tiennent dans un nom final. Plaisir de te lire sur ce Tiers livre ! Et merci de l’invitation!