Tu ne sais pas si ça va continuer longtemps comme ça, si ton corps va continuer à bouger marcher traverser ces journées saisies de bleu et de chaleur, s’il ne va pas te lâcher pour une raison ou pour une autre, d’ailleurs tu commences à avoir des hallucinations, il y a comme une ombre qui se manifeste à certaines heures de l’autre côté du ruisseau et ça t’appelle, ou alors le soir il y a comme une petite lumière qui s’allume et s’éteint à mi versant dans le sous-bois, toujours au même endroit, bien sûr tu ne comprends pas d’où ça peut venir et ça t’intrigue, tu as l’impression que cette ombre et cette lumière t’interpellent alors que le ruisseau devient de plus en plus menu à mesure de la canicule, tu as peur, et la petite lumière t’obsède au point que tu dors mal et tu ne sais pas si les mots vont continuer à couler à l’intérieur et glisser jusqu’au bout de tes doigts, se poser sur l’écran pareils à des papillons capables de dessiner la géographie des massifs et des couronnes d’arbre, la petite lumière t’appelle, t’invite à traverser l’eau et à monter vers elle, elle te dessine un chemin dans le maquis, elle t’oriente dans l’espace de tes pages, l’espace d’un livre à venir qui raconterait ce lieu construit à la confluence des rivières, entre versants abrupts et austères comme on en trouve dans ce pays qui n’est pas le tien mais qui peu à peu le devient à force d’y vivre, ces derniers soirs tu la vois s’agiter davantage et tu comprends bien que dans sa langue morse elle te supplie de la suivre, finalement tu as l’impression qu’elle a un corps elle aussi qui serait fait d’ombre et de secret, un corps aussi agile que celui d’une biche capable de se faufiler au milieu des bois dans l’explosion des sèves et l’éclatement des sens et de produire de la lumière, et toi qui grimaces dans l’effort quotidien, pas d’autre choix que de t’accrocher à ce nouveau langage, bien sûr c’était inévitable, et voilà que tu as grande envie ce soir de traverser le ruisseau, d’aller voir ce qui se trame là-bas, d’avoir le fin mot de l’histoire, tu te dis que cette petite lumière te sera de bon conseil et t’apportera un flux différent, une vibration plus sensible encore que tu pourras partager avec la voix des autres au loin qui écrivent eux aussi de toutes leurs forces et ébauchent des chemins à travers des bourgs et des villes, tu ne sais pas ce qui arrivera si la fatigue te prend, ou l’ennui ou le désespoir […]
Ai choisi de reprendre un des lanceurs de Munoz Molina que j'avais utilisé dans la #30, mais j'ai eu beaucoup de mal à comprendre et entrer dans cette histoire de double Ai tenté quelque chose, peu importe, entre épaississement et expansion
Cette ombre-lumière donne envie de la suivre, pas seulement pour le « fin mot », mais pour tous les mots de l’histoire dont les contours se dessinent sous les arbres au bord du ruisseau.
merci Laure pour cette résonance
l’histoire demeure ouverte…
Ce « quelque chose » que tu as tenté est très réussi. C’est un beau texte intrigant !
Moi non plus, je n’ai pas tout compris à cette histoire de double.
Merci quoi qu’il en soit pour ton récit vibrant !
oui Fil, intrigant puisque en toute liberté
cette histoire de double reste assez obscure pour moi, je te l’avoue… mais on se débrouille quand même
m’en vais te lire
Je me suis aussi beaucoup questionné sur cette histoire de double. Mais je crois, comme toi, que l’expansion en est une réponse. J’aime suivre tes mots sous les arbres.
laisser monter le texte
tu te souviens sûrement comme moi des expansions à partir de Leçon de choses de Claude Simon pour un des cycles de l’an dernier
un miracle que ces expansions
« la petite lumière t’appelle, t’invite à traverser l’eau et à monter vers elle, elle te dessine un chemin dans le maquis, elle t’oriente dans l’espace de tes pages, l’espace d’un livre à venir qui raconterait ce lieu construit à la confluence des rivières, entre versants abrupts et austères comme on en trouve dans ce pays qui n’est pas le tien mais qui peu à peu le devient à force d’y vivre, ces derniers soirs tu la vois s’agiter davantage et tu comprends bien que dans sa langue morse elle te supplie de la suivre, finalement tu as l’impression qu’elle a un corps elle aussi « .
Dans ce corps à corps avec l’écriture, tu trouves la couleur qui te convient et qui annonce une expansion qui va forcément te ressembler, le double c’est aussi le redoublement de quelque chose de trop intime pour le dévoiler dans des conditions qui ne sont pas celles de son propre travail dans la langue » non trafiquée de choses mortes » ( dirait Juliet) et surtout trop différente de la tienne. Connais-tu un livre jeunesse de Michel TOURNIER ( qui a eu son heure de gloire puis de discrédit) Amandine et les deux jardins. J’ai pensé à ce recueil immédiatement en te lisant même si ça demande un effort de transposition dans des préoccupations littéraires : » Ce journal d’une petite fille de 10 ans à l’allure naïve raconte la vie, les allées et venues de la chatte Claude et de son petit Kamicha. Ces animaux ne sont que le prétexte de l’auteur pour faire sauter le mur du jardin à Amandine, pour signaler son passage du monde de l’enfance à celui de l’adolescence, marqué par la puberté. Texte poétique où le symbole risque d’échapper aux plus jeunes. Illustration recherchée et réussie. Pour les 10-11 ans. » Mais bien sûr ce ne sont que des idées de passage du coq à chat.t.e.s. C’est un livre qui a beaucoup intéressé les psys. On en reparlera ?
te remercier pour ta lecture attentive et ton commentaire nourri et bienveillant
je ne connais pas ce livre jeunesse de Tournier, mais je note… le mur semble être là aussi une frontière, et cette fois entre deux saisons de la vie…
« tu te dis que cette petite lumière te sera de bon conseil et t’apportera un flux différent, une vibration plus sensible encore que tu pourras partager avec la voix des autres au loin qui écrivent eux aussi de toutes leurs forces et ébauchent des chemins à travers des bourgs et des villes » ! Sentiment partagé. D’ailleurs, ces derniers temps, je me suis beaucoup interrogée sur la voix en écriture et toutes les questions qui en découlent.
Très belle réflexion à partir de cette petite lumière qui brille de l’autre côté du ruisseau ! Merci pour ce texte, Françoise !
Ah, j’oubliais, moi aussi j’ai beaucoup aimé la nouvelle de Tournier dont parle Marie-Thérèse. Texte symbole, oui !
il va falloir que je la découvre
merci Helena pour ton écho et ton passage par ici, par la montagne et sa petite lumière qui clignote dans la grande nuit…
Cette petite lumière qui est aussi une ombre de l’autre côté ( pensé à celle de D’Antonio Moresco) cet appel et la rivière qui s’amenuise et ton paysage qui s’ouvre encore. Élan
oui bien sûr, j’y ai pensé aussi, à ce magnifique récit de Moresco… je suis restée dans le souvenir de l’émotion de cette lumière
mais faut que j’continue…
merci Nat de prolonger cet élan