Elle t’a invitée chez elle, en Bretagne, à Etel. Tu es tellement contente de les retrouver. Passer quelques jours entre ami.e.s, en bord de mer. Dès le départ le train a du retard à cause d’un bagage abandonné. La gare Montparnasse est bondée de familles, de gens seuls, de valises. Des cris, des rires, des conversations se chevauchent, des annonces au micro retentissent, des odeurs se mélangent: parfums, huiles solaires, sueurs, café, pets, croissants chauds. Assise sur ta valise, tu regardes autour de toi, tu écoutes distraitement ce que murmure l’instant présent, ce bruissement du quotidien, il fait chaud, il faut attendre. Quand soudain tu te vois te lever marcher et tu t’entends distinctement réciter (et même déclamer) la tirade de Jean-Pierre-Séraphin Flambeau, dit « le Flambard » dans l’Aiglon.
« Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grade, Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades(…) Nous qui par tous les temps n’avons cessé d’aller, Suant sans avoir peur, grelottant sans trembler(…) Nous qui, la nuit, n’avions pas peur des balles, Mais de nous réveiller, le matin, cannibales(…)
Tu marches dans la foule, tu t’adresses à chacun, tu ne hurles pas, tu ne revendiques rien, tu te faufiles entre les un.e.s et les autres. Tu leur parles avec ces alexandrins bien balancés, ce texte un peu désuet. Tu croises des regards étonnés, des sourires émerveillés, des airs méfiants, des mines renfrognées. Au micro, une voix féminine retentit: mesdames, messieurs le train n°8992 en direction de Quimper initialement prévu à 16h40 va entrer en gare, il partira de la voie 2, veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. Engourdie par l’attente et la chaleur, tu te relèves nonchalamment et te diriges lentement vers le quai. Derrière toi, tu entends des applaudissements des bravos, des mercis, tu te retournes émue, prête à saluer. Une bande d’adolescents hilares rangent leurs tablettes et commentent avec fougue cette partie de jeu mémorable qu’ils viennent de partager en réseau: « Qu’est-ce qu’on leur a mis de ouf, nous on est pas des bolosses on des purs boss. Nous on est des Gucci, on gère de ouf, on a la moula, on a la santé. Nous on tire à balles réelles, j’avoue on les ficha de ouf. Nous, les super warriors de 2006, on est trop forts ! » Il est 17h30 nous montons tous dans le train n°8992, direction la Bretagne.
Une belle scène, merci.
Une scène saisie sur le vif, une réussite !
Double du personnage dédoublé et double de la tirade revisitée par les jeunes. Beaucoup aimé. La véracité des pets aussi… Mdr
merci de ouf pour vos lectures attentives
Très vivant, on s’y croirait. Merci
c’est vraiment très étonnant et saisissant cette scène, une écriture de plateau carrément !! et subjuguée par le commentaire de Anne Dejardin, super juste, qui correspond exactement à ce que je pense de ce texte presque cinématographique
Merci Françoise pour ta lecture et ton retour. Je me souviens d’un autre de tes commentaires auquel je regrette de ne pas avoir répondu sur le champs, (maintenant je ne le retrouve plus), tu nous souhaitais de nous retrouver sur un plateau, quelle bonne idée !!