J’aime marcher, surtout l’été, sur les sentiers escarpés de montagne. Particulièrement sur les lignes de crêtes, là où les rapaces, ailes grandes ouvertes, planent, portés par les courants. Spirale ample, lente. Je les admire. Je suis leur vol. J’aime l’immensité du ciel pur, m’enveloppant, le vent chaud, sec et doux, étirant les nuages légers et hauts. À mes pieds, sur une terre croutée, des herbes recroquevillées, odorantes. À mes côtés, des arbustes aux silhouettes torturées, parfois un tronc blanc foudroyé, mais aussi la vitalité de l’explosion des gousses des genets. Sur les chemins étroits, j’aime, parmi les ronces découvrir, cueillir et manger des mures, ou admirer les verts tendres des mousses, des lichens sur les versants sombres de l’ubac. Plus haut, j’aime observer les sommets aux noms connus ou inconnus, aux pentes encore presque modérées ou aux crêtes aiguisées. J’ai besoin de découvrir, encore et encore, de suivre ces pistes représentées, répertoriées sur les cartes. Avant de partir, étudier l’itinéraire. J’y projette déjà. Ne pas négliger la préparation mentale. Avant de partir. Ensuite… ensuite mettre un pied devant l’autre, dans ces espaces minéraux, végétaux. Avancer pendant des heures, ressentir chaque instant, chaque respiration, répéter la régularité des pas. Le temps s’efface un peu avec l’altitude. Et là, si près du vide quelquefois, faire attention au terrain, ne pas perdre l’équilibre. Mais malgré et avec les conditions matérielles, les questions techniques me sentir libre. Libre avec le silence. Un grand silence m’accompagne. Le silence avance avec moi. Sans un seul mot, ressentir la mobilité de mon corps vivant, réactif, malgré la fatigue des heures d’effort, la longueur du trajet, les difficultés du dénivelé. J’aime marcher.
Je déteste marcher. Rien que d’y penser cela m’épuise. J’aime l’immobilité pour lire, rêver ou éventuellement observer, un instant, une coccinelle avancer sur une fleur. L’été j’aime tout particulièrement, à l’ombre d’un platane, lire dans un fauteuil confortable, calée dans des coussins. J’aime ne pas bouger. Mes muscles n’ont pas besoin de travailler pour éprouver la sensation de vivre pleinement. Un jardin dans une belle campagne, enveloppée d’une chaleur modérée, me convient parfaitement. Par exemple, j’évite les coins montagneux, ils me font peur, je m’y sens asphyxiée. Les gorges étroites m’oppressent, les massifs rocheux me donnent l’impression de vouloir m’écraser. Quant à me promener sur chemins caillouteux, on s’y tort les chevilles, les genoux y fatiguent en descente, et en montée, on s’essouffle. Jamais. Aucun intérêt. Moi j’aime être assise dans une chaise longue pour me plonger, immobile, dans les aventures des autres. Je voyage dans les paysages mentaux des écrivains. Parfois je pourrais lire à voix haute, les passages les plus émouvants, aux oiseaux. Quoique je préfère lorsqu’il n’y a pas d’oiseaux, ils piaillent trop. Je veux rester dans ma coque de cérébralité. Rien que des images, des évocations, des mots. En fait, je ne vois plus le jardin, et ne veux jamais interrompre le confort d’une parfaite position pour aller me chercher une citronnade. Ma lecture m’absorbant, je reporte, de chapitre en chapitre, mon besoin de boire. Aucune envie de mettre un pied devant l’autre. Différer un maximum le moindre geste, mes besoins corporels. Je déteste bouger.
Voilà un très bel exemple de double.
Inconciliables ? Pas du tout !!
Merci Pascale !