Le décompte commence. Cavalcade dans la maison. La partie de cache-cache est lancée. Elle ouvre la porte en bois de la cave et tâtonne pour trouver l’interrupteur. L’ampoule de faible intensité éclaire modestement l’escalier gris bétonné. Immédiatement une bouffée de fraicheur dissipe la moiteur du corps, l’odeur de renfermé lui saisit le nez et la gorge. L’escalier fait un coude. Il faut se baisser bientôt. La lumière faiblit à mesure qu’elle descend. Sous l’escalier, dans le clair-obscur et la fraicheur de la terre battue, elle sera bien. Elle se réfugie là quand le père gueule trop fort. Elle aime le mot « gueuler » : ça fait animal. C’est sa façon de pleurer à lui, les oncles et les cousins morts. Et en même temps, ça crispe le ventre d’être là. Ca fait toujours ça. Elle a l’impression de descendre en elle, vers ce qui est tapi au plus profond d’elle, elle a l’impression que le lieu la happe. Une petite fenêtre rectangulaire grillagée tapissée de toiles d’araignée et de poussière brouille la lumière du plein été. Son œil se familiarise peu à peu et discerne bientôt les contours des objets. Elle attend. Au bout de la cave, la porte qui mène au jardin. Elle attend. Enveloppée de frais, elle somnole. Ils ne la trouveront pas. Ils n’oseront pas descendre. Mais elle est bien, elle attend. La lumière au bout du tunnel de terre battue de la cave a changé. Ce n’est plus une lumière de soleil d’été. On dirait une lumière artificielle. Intriguée, elle sort de sa cachette. Empêchée par les aspérités du sol, la porte résiste un peu puis s’ouvre brutalement et elle bascule. Elle dégringole sur les premières marches d’un escalator qui dessert à sa grande stupéfaction un passage souterrain de gare, de ceux qui permettent de rejoindre les quais. Les bruits de la gare ne tardent pas à se détacher un à un : bruit des roulettes de valises, pas pressés, bribes de conversations, pleurs d’enfants, trains en partance. Tous les bruits sont là. On s’y croirait. Mais personne. Le passage souterrain est vide mais les murs poissent l’angoisse. Elle cherche un escalier ou un nouvel escalator pour remonter. Mais rien. Un panneau « Sortie – Gare Est » lui semble la seule issue possible. Mais au bout du passage, un seul escalier qui descend, très large, avec une double rampe au milieu. Le bruit reconnaissable d’un métro à l’approche d’une station. Face à elle un large couloir souterrain, à nouveau. De part et d’autre, des lits improvisés : couvertures empilées, matelas gonflables, tapis. Elle se fige. Entre deux panneaux publicitaires lumineux, un groupe d’hommes l’air soucieux, en plein conciliabule. Une ado sur le matelas bleu gonflable, le nez sur son téléphone. Une femme toute en noire lève la tête vers la voûte. Elle semble guetter, attendre que quelque chose se passe. Une vieille femme prie et gémit en se balançant d’avant en arrière. De son corps, on ne voit plus que les mains qui cachent le visage. Elle distingue bientôt des bruits sourds qui font trembler le sol. Les bruits de la guerre. Elle les reconnaîtrait entre mille. Au loin des sirènes. Dans l’abri souterrain, des enfants surgissent soudain et courent en tous sens : l’un d’entre eux s’aplatit derrière le gros matelas bleu gonflable et jette une couverture à grosses fleurs orange et vertes sur lui. Un petit garçon s’arrête dans sa course, se tourne vers elle : « Alors tu joues ? ». Elle reconnaît Michaël.
Tu as fini par descendre. Bravo, lecture très agréable Merci
Merci Véronique d’avoir pris l’escalier avec moi !