« Yugoslavia – Getting There and Away. Boat. One of the nicest way to come is on the motorship Dionea, the last of the Lloyd passenger boats. The Dionea departs a wharf in downtown Trieste for Koper, Piran, Porec, Rovinj and Pula at 8 am daily except Wednesday. »
Lonely Planet – Eastern Europe on a shoestring – Édition 1989
Pas besoin de visa pour entrer au Pays-qui-n’est-plus. Pour tout renseignement on pouvait contacter son Office du Tourisme au 31 boulevard des Italiens, dans le 2e arrondissement – à sa place se trouve une agence de la BNP. Plus aucun service maritime ne relie Trieste au Pays-qui-n’est-plus. Plus aucun train direct ne relie Trieste à Vienne ou à Budapest non plus – Trieste est devenue un cul-de-sac. Devant la gare les autocars conduisent en Albanie, en Macédoine, au « Kosovo ». Sur leurs pares-brises des noms de villes qu’on aura du mal à placer sur la carte : Bitola, Dürres, Ohrid – des autocars de Gästarbeiter. Dans le port de Trieste plus aucun vaisseau de croisière pour Alexandrie ou Tunis. On se demande toujours ce que le cuirassé de la marine italienne fiche là, endormi à quai, protégeant la ville contre on-ne-sait quelle menace. Du temps du Pays-qui-n’est-plus Trieste était la porte d’entrée vers le monde de l’opulence – on y venait de Zagreb ou Belgrade acheter les jeans, les couches, le lait pour bébé qui, souvent, manquaient près de chez soi. Le Dionea a longé la côte adriatique de Trieste à Pula jusqu’en 1991 avant d’être vendu par la Lloyd à un armateur grec qui le rebaptisa Kalara et remplaça son pavillon italien par celui de l’ile de Man. Six années de cabotage en mer Egée avant d’être transféré aux Chantiers Navals Mariotti de Gênes où il reprit son nom d’origine et devint un yacht de luxe que l’on peut louer pour des croisières sur-demande. Souvent je me demande à quoi ressemblerait une carte du Pays-qui-n’est-plus qui prendrait en compte ses frontières mouvantes, ses états successifs, ses identités flottantes. Cette carte ressemblerait à une feuille de papier froissé. On imprimerait un A3 en couleur sur du 90g., ni trop souple ni trop rigide. Au départ tout serait plat et lisible : l’Adriatique serait bleue, la Voïvodine verte, l’Herzégovine brune et les villes importantes, selon les codes Michelin, prendraient la forme de pavés jaunes. On saisirait cette feuille à deux mains et on la malaxerait comme on pétrit la pâte à pain. Puis on l’étalerait à nouveau. Quels reliefs apparaîtraient, quelles vallées nouvelles ? Puis on la passerait à un voisin qui, reproduisant le même geste, créerait sa propre réalité géographique. Cette carte triturée par les mains du hasard serait-elle pour autant moins fidèle à la réalité ?
« à quoi ressemblerait une carte du Pays-qui-n’est-plus qui prendrait en compte ses frontières mouvantes, ses états successifs, ses identités flottantes »
Une carte à dessiner, tout un livre à écrire…
Je rêve depuis longtemps de connaître Trieste… la reconnaîtrai-je quand j’irai ?
Cette carte triturée, malaxée, colorée, on la saisie, on s’en sent responsable d’un coup. C’est beau.