– Qui veut du café ? J’en refais ?
Le salon qui m’a servi de bureau ces quarante derniers jours est plein de monde. Une joyeuse pagaille. Ça discute dans tous les coins, jusque dans la cuisine, sur la terrasse, dans le couloir. Faut dire que ça fait du monde, cette affaire. Des bouteilles, des verres, de quoi grignoter.
– C’est fou ce que tu ressembles à ton personnage ! Je t’imaginais un peu plus grand mais sinon, tout y est.
– Bon, vous me répondez ? Qui veut du café ?
– Moi.
– Moi.
– Fais-en une grande cafetière, on sera tranquille.
Ils sont tous là. Tous les personnages qui sont apparus dans mes pages de ces quarante derniers jours d’écriture. Ça fait beaucoup de monde, j’en ai identifié près de cent-cinquante, sans parler des collectifs, des groupes, des foules. Ça fait du monde, mais ça ne prend pas beaucoup de place dans mon salon, ils sont juste des noms pour certains, des personnages parfois anonymes. Des lignes sur un écran d’ordinateur.
– Jean-Luc, tu as de la musique ?
Je réponds que j’écris souvent en musique mais je sais rarement ce que j’écoute. Je leur dis de cliquer là-dessus, c’est une radio sur internet https://radioparadise.com/player. A gauche, je leur dis de sélectionner « Channel : RP Mellow Mix ». J’aime bien cette radio, elle s’accorde avec mes flux de pensées, de façon générale.
Parmi les gens bien réels, plusieurs passent devant moi avec un verre à la main. Ils ont plutôt heureux d’être là, ça me fait plaisir. Je vois Georges Perec parler avec Jean-Claude Izzo, c’est pas un match Paris-Marseille, c’est une extraordinaire occasion de sublimer la ville. Un jour, je leur demanderai ce qu’ils ont bien pu se dire. Le soldat inconnu se fait connaître en racontant des blagues, il est drôle cet homme. Il y a des artistes aussi. Tiens, Joan Baez, que peut-elle raconter à Antonin Artaud ? Et puis d’autres célébrités, comme le roi de Yougoslavie Alexandre 1er. Un peu perdu, le couronné. Il y a quelques personnages de fiction, Cyrano qui mime quelques échanges de coups avec Rocky.
Mais les personnages les plus nombreux sont, sans conteste, ceux sortis de mon imagination. Avec ou sans nom. Certains n’apparaissent que très furtivement, quelques mots tout au plus. Des rôles de figuration que je m’amuse à reconnaître dans ce groupe disparate et attachant. Plusieurs couples d’amoureux, un contrôleur de train avec des cheveux longs, une écolière avec un gros cartable sur le dos, des policiers arborant des moustaches en forme de guidons à vélo, un présentateur télé en noir et blanc, un cow-boy, un cantonnier avec son balai en plastique et sa veste fluo, un vendeur de saucisses, une sdf… Et plus aussi plein de groupes qui ont un peu de mal à se dissoudre dans l’assemblée. Des soldats de 14-18, une ribambelle de gamins, des dizaines de paires de jambes. Ah aussi, une armée de zombies et plein de morts-vivants. Ils n’ont pas l’air tristes. Même si personne ne l’est, triste. Pas même la femme qui m’a tué. Et puis, des « il », des « elle », des « tu » et des « je ». Plein de « je ».
Je leur demande un peu d’attention, le temps que tout le monde regarde en ma direction. Les bavardages s’estompent peu à peu. À part quelques enfants qui préfèrent filer dehors jouer avec les animaux, un chien, un chat, des poules, des chevaux et même, des cigales. Je les remercie, tout d’abord. C’est vrai, ils m’ont épaté. Je leur dis que, durant ces quarante jours et quelques, ils ont fait montre de belles dispositions, que je suis fier qu’ils soient sortis de mon imaginaire ou, à défaut, de ma tête. Je leur dis aussi que ce n’est pas fini, que l’aventure va continuer même s’il demeure des zones encore floues dans cet avenir. Mais que là, on fête la fin d’une étape. Et que c’est bien.
Enfin, je leur dis que je leur ai fait une petite surprise. Pas un truc de dingue, juste un petit film et je les invite à le regarder maintenant. Un film qui retrace les endroits qu’on a visités ensemble durant ce dernier mois et demi. Un film comme une collection d’images. Une toile blanche sur le mur de mon salon, le projecteur super 8 est allumé.
– C’est bon, le café a fini de passer.
– Jean-Luc, il manque des chaises. Tu peux en sortir, s’il-te-plaît ?
Sur mon ordinateur, sur une page blanche du traitement de texte, je tape : « une centaine de chaises ». Et je leur dis de se servir. Le film commence.
Sur l’écran blanc, apparaît en titre « Lieux, paysages et autres décors ». Paris. L’Arche de la Défense, la terrasse du café des amis de la rue Fontaine, le pont de Tolbiac, un grand magasin à Belleville, Notre-Dame, la place saint-Sulpice, l’île de la Cité, la Tour Eiffel, les Champs-Élysées, le cimetière du Père-Lachaise. La tombe du soldat inconnu…
– C’est chez moi !
Marseille. Une plaque commémorative, le marégraphe, la grande esplanade de la gare, le port, la mer, les Goudes, le cimetière Saint-Pierre. L’immeuble du 107 boulevard Baille…
– C’est chez nous !
Et puis Aix-en-Provence, Fontainebleau, Pantin, Nîmes et autres. Et aussi Big Ben à Londres, un food-court et des stations de métro à Montréal, les tours jumelles, Soho et Greenwich Village à New-York, Alger, Pékin, Lisbonne, Barcelone, Palerme… La Russie, l’Angleterre, l’Italie, le Mexique, la Corée du Nord, la Chapelle Sixtine au Vatican. Le sommet de l’Everest…
– On dirait un diaporama de vacances.
La foule des personnages regarde l’écran avec amusement. Un diaporama de vacances. Le diaporama de mon mental d’écrivain ces dernières semaines. Mais pour moi, le plus impressionnant allait suivre, c’était les fruits de mon imaginaire. De purs fruits, même s’ils avaient parfois le goût des souvenirs.
Il y a toutes ces villes inconnues, assemblages de fragments de mémoire, de lectures, de tableaux, de rêves et de tout ce qui nourrit l’imaginaire. Un ville déchirée, une ville vivante, une ville morte. De tout ce qui fait une ville. Des rues. Avec des panneaux publicitaires, avec des cyclistes, avec des arbres. Des rues sales, des rues pleines commerçants. Une boulangerie, un hall de gare, un cimetière, une prison, un parc, un banc, une boite à lettres. Une bouche de métro. Une manifestation, un contrôle de police. La piscine municipale de mon enfance, des terrains de sport, la cour de l’école, ma colline, ma ville d’enfant. Et aussi son extérieur, boulevards périphériques, zones commerciales.
Il règne un mélange de recueillement et de fatigue. Plus personne ne parle. La voix de Neil Young réunit les esprits vagabonds.
Sur l’écran en toile, les images s’éloignent de la ville. Une raffinerie de pétrole qui devient un château-fort, une forêt primaire, une plage de sable fin, d’autres châteaux, une montagne, une scierie, une gare, une voie ferrée. Des accidents aussi. D’automobiles, d’avion. On voit un train qui déraille que j’ai croisé plusieurs fois.
J’ai l’impression d’offrir à toute cette assistance, une place dans une même famille. Une famille réunie par des mots sur quelques fichiers d’ordinateur. Une famille vivante dans les pages d’un blog.
Des images d’intérieurs. Une voiture d’un train, une maison, un appartement. Un tapis persan posé sur le sol, un coffre rempli de cartes routières. Une petite maison vieille et décrépite, idéale pour loger des souvenirs lointains. Et des trajets. Celui entre un cimetière périphérique et la prison d’un centre-ville, celui entre un appartement et une gare de banlieue ou encore les bribes de celui entre mon école primaire et chez mes parents.
J’ai gardé mes personnages en éveil sur la page de mon écran d’ordinateur tandis que le film se terminait sur l’écran imaginaire. J’ai gardé mes histoires en éveil. Je les garderai dans les jours prochains, même quand j’éteindrai mon ordinateur. Même quand j’aurai cessé de courir avec eux tous les jours sur un clavier. Je sais qu’ils ont plein de choses à vivre.
Alors, ils me raconteront.
Merci de nous avoir invité à cette fête. J’aime beaucoup le final de ce feu d’artifice. Grand plaisir d’être de la bande
Merci Pascale. Curieusement, j’éprouve même la fatigue des lendemains de fête…
Un Diaporama non exhaustif où Lyon manque à la carte . Paris, Marseille ses rivaux-rivales, la fête était lointaine mais son ambiance est parvenue jusqu’à mes oreilles, c’est une façon d’approuver sans se sentir réellement transportée ailleurs. L’Atelier est sans doute trop vaste pour moi – je – comme je peux…Merci du geste !
Non, pas de rivalité. Juste deux villes que je connais un peu. Et la fête est toute proche. Juste sur l’écran de votre ordinateur. Merci d’être passée boire un café.
Merci pour le café, on reviendra !
« Le diaporama de mon mental d’écrivain ces dernières semaines. Mais pour moi, le plus impressionnant allait suivre, c’était les fruits de mon imaginaire. De purs fruits, même s’ils avaient parfois le goût des souvenirs.
Il y a toutes ces villes inconnues, assemblages de fragments de mémoire, de lectures, de tableaux, de rêves et de tout ce qui nourrit l’imaginaire. Un ville déchirée, une ville vivante, une ville morte. » Merci pour toutes ces traversées Jean Luc .
Quel magnifique final ! Quelque chose de Fellini ou de Scola. Merci, Jean-Luc.
L’histoire continue, merci.
Jean Luc merci pour cette tendre et émouvante promenade entre tes personnages, tes lieux, comme faire partie de tes amis dans ton chez toi à boire du café – C’était doux et joyeux, merci bien.
j’aime beaucoup.
merci de ce final et pour le café
Merci beaucoup. Un peu sonné après ces 40. Du coup, je sommeille. Mais je vous remercie pour votre passage.