qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps, embarquée dans l’histoire avec un peu de retard ? dans quelle enfilade de rochers t’es-tu risquée et pour quelles raisons en ce moment où l’été 22 commençait, la canicule ruminant déjà sur les versants boisés ? quoi t’a retenue dans ce lieu-vallée où tu habites, dans ce trou qui n’est pas un trou puisque situé au-dessus de l’eau verte d’une rivière inconnue où nichent des espèces d’oiseaux rares à plus de cent-cinquante-quatre mètres au-dessus du niveau de la mer, alors qu’il était question d’écrire sur la ville ? quoi donc t’a saisie des bruits cris rumeurs sauvages d’ici ? quoi t’a bouleversée à ce point dans la mort de celui qui dormait dans son camping-car, écrasé par un rocher d’une mètre cube et demi ? quoi t’a conduite si fort ? quoi t’a conduite là où la route ne peut se dessiner qu’à mesure des pas poussés au contact même du sol, qu’à mesure des mots nés bloc après bloc, tout ce qui t’a poussée vers l’avant irrémédiablement au milieu des champs de pierre brûlante ?
sans en connaître la raison, tes yeux se sont portés sur la ville miniature construite à la confluence des deux rivières où tu vis depuis huit ans, pour toi la ville est devenue village
rues venelles déviation | corps | sols | frontières de la lumière & de l’ombre | passerelles | animaux tapis | expressions de l’eau | puissance du décor
peu à peu cerner le territoire, explorer ses limites, l’observer par les sols les murs les bâtiments les ponts les places, mesurer le niveau de l’eau, recenser les arbres, mettre tout ç en petits paragraphes alors que le monde fait la sieste ou partage un repas sur la terrasse, prendre des photographies du maintenant, regarder les gens qui bavardent en prenant un café devant l’épicerie, épier les oiseaux au ciel, remonter les pentes couvertes de châtaigniers jusqu’au désert de roches et de maisons abandonnées des Falguières, étudier de près les murets, visiter le cimetière… voilà ce que tu as fait… au fond tu n’as fait que rechercher les vivants et le vivant dans le bâti et le vivant en toi, le reste des possibles à partir du présent, le vivant vibrant contre le bitume de la place principale ou contre le crépi sale des façades, le vivant dans cette petite lumière sur le versant d’en face, juste de l’autre côté de l’eau
portes à pousser | endroits pour se cacher | usage de la brouette | tragédies | de l’autre côté de l’attente | comment ça naît | traces & textures | odeurs | matières du monde & de l’enfance
et cette petite lumière, tu l’as aperçue un soir alors que la fatigue t’avait conduite à t’assoir sur la terrasse avec les autres en attendant le lever de lune, elle t’a intriguée puis fascinée au point que tu l’as traquée tous les autres soirs parce qu’elle te faisait signe, c’est donc que tu étais à ta juste place dans le prolongement même de son rayonnement, tout ce qui était vivant remuait dans la forêt à l’entour, tout ce qui se tramait là aux limites du crépuscule et de l’obscur, les animaux qui respiraient ou gémissaient, l’espérance de la nuit, les frontières en toi de la peur, l’inquiétude des abîmes et de la fureur des eaux, tout ce qui te faisait signe à travers elle qui clignotait et tremblait pareille à une grappe de lucioles, mais il te fallait le comprendre… et c’est sans doute en ces instants qu’avaient commencé à se dessiner les étapes de ce voyage inédit au bout de ta rue entre le Temple protestant et la Placette, un voyage au fil de la vallée dans ce cadre de montagnes cévenoles, peu à peu raconté dans des fragments épars telles lignes inscrites sur des pans érodés de falaise… reste à définir ce qui te relie toi à tout ça… est-ce toi le sujet ou bien ce lieu que tu habites ? est-ce le pays de ton enfance venu résonner avec le pays d’ici parce qu’il lui ressemble par sa rudesse, par la nature schisteuse de ses tréfonds, par le parler rugueux des gens, par les gestes prodigués aux jardins depuis des millénaires ? sans doute que tu vas l’apprendre si tu rassembles les matériaux et poursuis l’effort plus loin
la marche est longue, ardeur et ténacité nécessaires, tu le sais bien
plus bas encore / sols poussière / bousculements du paysage / d’un mordoré / comment ça naît je me demande / le jus des fruits / souvent surprises / revenir au pays / de l’autre côté de l’attente / donne le mot jamais venu / édifices éphémères / voyage d’une ruche / descente express / petites histoires de réseau / traces / comment ça a mal tourné / comment acheter une brouette / à ciel ouvert / approche dans la lumière d’août / matière sensuelle des villes et des villages / colère effroi beauté / fond de jardin / ici on recompose / terrain pas bien commode / transparence / ligne limite frontière / ton corps est fait pour bouger / elle de la terre
temps maintenant de faire le point, de regrouper les mots écrits… et tout le reste à bâtir…
Photographies Françoise Renaud©, Cévennes 2022
Exprimer ici la puissance de l'expérience de ces 40 jours, textes qui n'auraient jamais été écrits, richesse magnifique de certaines propositions comme la #30 éclatement ou la #36 aux morts... il y en a d'autres Dire aussi que c'est l'accompagnement de certains amis participants qui m'a insufflé le courage de tenir bon, le soutien des commentaires habitant la solitude dans le travail... merci à eux pour cela
« c’est donc que tu étais à ta juste place ». Et quelle belle manière d’embrasser nos 40 jours que de les conclure par ce texte qui ouvre tant de chemins sur ce paysage où tu nous as accueillis. (Encore) merci Françoise.
ton écho me conforte dans la posture et me réconforte
comme c’est difficile de faire après coup le bilan…
merci Xavier pour toute l’attention que tu m’as accordée au fil du parcours
Ton texte appuie sur le fait que c’était un bonheur quotidien de se retrouver dans ton pays cévenol.
Oui, il reste à organiser ces quarante créations, mais c’est un plaisir supplémentaire !
Merci beaucoup aussi pour m’avoir soutenu par tes mots toujours justes et amicaux !
À bientôt Françoise !
des choses peuvent désormais naître de cette matière accumulée
et il est l’heure de te remercier fort pour ton accompagnement et ton amitié
merci merci Fil
« … au fond tu n’as fait que rechercher les vivants et le vivant dans le bâti et le vivant en toi, le reste des possibles à partir du présent, le vivant vibrant contre le bitume de la place principale ou contre le crépi sale des façades, le vivant dans cette petite lumière sur le versant d’en face, juste de l’autre côté de l’eau. »
Beaucoup de choses me plaisent dans ce que tu dis dans cette note. Tu fais l’effort de rassembler tes pensées au sujet de ce périple de 40 jours et sans doute y trouveras-tu la forme à donner pour une mise en voix et pourquoi pas en livre. Tu as suivi simplement des yeux ta propre rivière en levant les yeux sur une ville que tu as reconstituée à ta façon. Simplicité du style, assurance aussi dans le regard. Plaisir de te lire.
oui, cette #40 demande un énorme effort d’assemblage et réclame de développer une sorte de vision sur le travail posé désormais devant soi
merci Marie Thérèse d’avoir pris ce temps, et tes mots-là me paraissent si simples et amicaux
Il me semble que ton projet ainsi décrit est déjà bel et bien parti et ce texte en farait une très belle préface. Beaucoup aimé aussi le regroupement de tous les titres qui resonnent comme un poème. Merci pour ces 40 jours de merveilleux textes !
oui je pensais en effet que ce texte pourrait être un genre de préface ou…
titres à trier, à revoir
j’ai l’impression de ne plus vraiment me souvenir de tout ce qui a été écrit… as tu la même impression ?
Merci infiniment Françoise pour cette grande marche courageuse, avide, sauvage, – sculpteuse en somme – à travers ton sol, territoire rugueux rocailleux où j’aimerais tant vivre et reposer doucement, j’aime ton écriture au point que je lis tes textes à voix haute – leur saveur en bouche inestimable
on se laisse porter comme en symphonie, explosion des syllabes qui s’articulent somptueusement les unes aux autres, matières faites pour s’enclencher, se tordre, agir, cousues qu’elles sont comme les alvéoles d’une ruche, d’un nid de guêpes, d’une éponge, cristaux, coraux marins, derniers repères vivants de la terre profonde
mes dernières semaines m’ont empêchée de te répondre, de t’écrire à chacun de tes merveilleux messages – qui me touchent profondément car élevée dans les monts d’Arrée, j’ai connu l’esprit village que tu m’as confiée, et pourtant : je vis tes pierres comme une danse d’antan, le folie libre autour d’un feu de Saint-Jean
ton commentaire est un texte en soi, en résonance au mien
et ça m’ébranle en ces jours un peu plus difficiles que d’autres
je retiens « derniers repères vivants de la terre profonde »
je suis née pas bien loin des monts d’Arrée dans un village de terre et de bord de mer… peut être partageons nous certains voisinages d’enfance ?
Merci de ce texte « apothéose » et des précédents. Quel plaisir de vous avoir lu. Merci