Je n’avais pas l’intention de reparler de cette grand-tante qui habitait une ferme basse situés dans le village de La Bourrelière avec puits, poulailler, appentis où j’avais eu si peur une fois pour m’y être faite enfermée avec mon frère un jour de visite. À découvrir la piste d’écriture du jour et à rôder autour de l’enfance, ce sont des images d’elle qui me reviennent, soudées à l’histoire de mon père, à l’histoire de ma famille et à l’histoire du pays d’où je viens. Je me les repasse en boucle comme un film en noir et blanc avec heurts et zones floues pour avoir été trop regardé. Par exemple plantée au milieu du pré, parlant à ses poules comme une mère à ses petits. Ou battant l’herbe avec sa canne pour effrayer les serpents. Ou nous frottant la joue en nous distribuant des biscuits secs autant qu’on voulait, à nous petits gosses. Images d’une autre époque sans doute, d’un monde d’avant où les gens vivaient dans la proximité de la terre au point que leur peau en avait pris la couleur. À cent-six ans la peau de ma vieille tante ressemblait à du cuir et ses pognes avaient toujours la solidité d’un arbre. Poils au menton, jupes odorantes, bas des jambes écorchées, brusquerie généreuse des gestes, l’ensemble pareil à une déclaration d’identité.
L’appartenance au monde de la terre pourrait bien se transmettre comme un gène, comme un goût, une onde originelle. On ne s’en défait pas. Cette nature première, je la porte en moi, incarnée par cette femme qui avait bien connu ma grand-mère. Chaque détail de son monde — virages près de l’étang, boue du terre-plein, bâtiments de ferme, mimosas luxuriants au fond du jardin, présence des chiens — s’est inscrit dans mon champ mémoriel, autant de points lumineux participant et redessinant ma géographie personnelle. Elle est mon rai de lumière sous la porte, mon accès aux zones anciennes, mon moyen de me relier à toute autre terre en tout autre lieu.
Bien consciente de ne pas être totalement dans le sujet mais l'urgence d'avancer et toujours dans le souci de rester en lien avec mon lieu d'aujourd'hui
Que serait-ce être totalement dans le sujet ? Le sujet c’est vous. Cette dernière phrase en police plus petite me semble l’essentiel.le cœur de votre texte.
merci Pascale
toujours cette coexistence et cet équilibrage nécessaire entre les mots du fond et les mots du récit…
C’est un superbe portrait évoqué à travers le regard de l’enfant, et j’ai beaucoup aimé la description de ces liens qui vous relient toutes deux à la terre, comme un héritage insdestructible qui nous façonne. Très émouvant !
soulagement à lire ton bel écho, chère Helena
j’ai voulu rester dans le sillon de la terre, des pays originels, la quête de racines… c’est quoi « être de la campagne »…
(j’avais moi aussi des scènes de départs en voiture, des ambiances et tout, mais je voulais garder mon cap une fois de plus)
Françoise, tu nous as écrit un très beau retour-enfance.
Tu nous dis où et chez qui tu puises tes racines. Et c’est émouvant, ce portrait de femme rude et tendre.
Merci à toi !
finalement une manière de portrait qui influence à distance la fragilité de ma courbe… dans la suite du cabanon aux ombres étranges
merci Fil pour ta présence