Alors que les Merle étaient en vacances au Monténégro (qui s’appelait encore la Yougoslavie) Danielle partit nager dans le lac de Skadar traversé par le frontière albano-monténégrine (dans l’eau ce n’est pas évident à matérialiser). Danielle nageait le crawl avec fluidité : elle fila tout droit. Le lac était crénelé par une jolie brise et tout à son plaisir de rayer le miroir chatoyant du lac, de sentir par intermittence le vent léger et le soleil sur sa joue, elle s’approcha dangereusement de la liquide frontière. Ce ne fut qu’en entendant le cliquètement d’une mitrailleuse, qu’elle sortit la tête de l’eau, aperçu un jeune militaire albanais effaré sur la rive nord du lac qui lui faisait des grands signes de la main en criant « Dilni ose qëlloj » ce qui veut dire « Dégage ou je tire ».
Alice Merle se rendit de Nice à Ferrare pour retrouver Vanessa, une amie de Paris, aspirante comédienne dont la carrière théâtrale était au point mort. Elle venait de se fiancer avec Lorenzo, un fils de notable, qui lui avait promis la direction du Teatro Nuovo (l’endroit avait sombré pendant les années Berlusconi dans la variété italienne vulgaire). Alice venait lui remonter le moral face au défi qui l’attendait et prit la route dans la soirée. C’était en Novembre, la neige menaçait et la petite Clio d’Alice se faufilait comme une souris apeurée entre les poids lourds qui roulaient à tombeau ouvert vers l’Italie. Dans le tunnel de Castellar, elle vit deux hommes, frêles et bruns, marcher le long des voies, C’était des migrants venus de Vintimille qui avaient dû se convaincre qu’une nuit sombre et neigeuse de novembre était un bon moment pour passer la frontière (s’ils survivaient aux camions et au froid, ce qui n’était pas gagné). Après Menton, le temps de gâta franchement. La neige se mit à tomber lourdement et les camions creusaient de profondes ornières qui fondaient en un clin d’œil. La route si solaire en été était devenue un cloaque sale et glissant où elle se vit mourir.
Saisissant! Merci