40JOURS # 38 Balade spatio-temporelle des bornes

© Markus Raetz / VUE

Sauveterre

Même une petite ville insignifiante comme la nôtre est plus découpée que Berlin pendant l’occupation. Des frontières anciennes courent sous la pierre comme les veines sous la peau et elles charrient autant d’histoires que les rivières souterraines, d’alluvions et de crottes de chauve-souris.
Elle pose sa petite main décharnée et toute bleue de veines saillantes sur la table devant moi : vous voyez, avec le temps, ça remonte en surface, mais jamais à l’air libre. La Chenille parlait de plans superposés, une véritable obsession cette histoire, encore un qui avait trop lu Tintin… c’est comme ça qu’il lisait Sauveterre, en tous cas : par secteur. Rien de bien faramineux là-dedans, vous me direz ? C’est ce qui ne colle pas : le gars était une bête faramine à lui tout seul, je ne sais pas pourquoi je vous dis ça à vous, vous ne seriez pas là si vous ne le saviez pas déjà. Oui, une bête faramine comme notre sanglier… nuisible la faramine, dites-vous ? Ah, pour moi ça les mettait plutôt du côté faramineux. Bref, il avait l’idée d’une sectorisation de Sauveterre où les périodes créaient de la profondeur. Comment vous expliquer cela ? Il faut imaginer des plans transversaux. Des disques souples… Par ici, on dit que les bornes se promènent la nuit. La Chenille a compris que pour certaines d’entre elles, la balade ne se fait pas que d’un terrain à un autre : elles s’enfoncent. Les bornes s’enfoncent jusqu’à disparaître… et qui sait quand et où elle reparaîtront ? Vous ne me suivez pas… je vous ressers. La tombe de Gaboriau, par exemple, pour lui, elle est prise dans la même zone que la nécropole Saint Gervais-Saint Protais. Ça peut paraître étrange, vu que le Gaboriau n’occupe plus son mausolée depuis plus d’un siècle. Lancez-les là-dessus au bistrot, ils sont intarissables…  Le corps a été volé, dit-on, moi, je pense qu’il aura plutôt été déplacé. Et probablement pour son bien. Car il existe un bien des morts, vous avez l’air étonné ! Votre grand-mère qui compte tant pour vous, ne souhaitez-vous pas faire respecter son bon droit même dans la tombe ? Vous avez l’air encore plus étonné ! Pensez-vous vraiment que vous m’auriez prise au sérieux si une vieille d’importance ne vous avait pas appris très tôt à écouter les vieilles sans importance ? Tenez, reprenez de la poire, vous allez pouvoir passer de mon côté : l’exploitation de la pierre de Sauveterre a commencé dès l’Antiquité puisqu’on en trouve les faciès dans les bases des murs de la villa gallo-romaine de Sauveterre, mais l’endroit précis de l’extraction est encore inconnu. Et c’est encore la pierre de Sauveterre que l’on utilise pour la confection des sarcophages de la nécropole mérovingienne attenante à l’église, un calcaire bioclastique puisé à proximité, entre la rue de l’Église et la rue d’Alvy. La nécropole médiévale qui lui fait suite a tiré la pierre de ses tombes de la même carrière dans les couches profondes. Nombreuses sont les carrières, pour la plupart souterraines, qui exploitent la pierre de Sauveterre : Bourg-Nouveau, Le Cluzelet, La Dixmerie, La Frémigère… celles des Pierrières, de la rue de Verdun et celle de la rue d’Alvy, intégrées dans le tissu urbain semblent les plus anciennes. 
Tout ça, c’est à peu près connu. Mais ce qu’on sait moins c’est que vers 1850, Sauveterre a connu une importante immigration de carriers venus des bords de Gironde dont les carrières s’épuisaient. Les carrières d’Heurtebise connurent un important effondrement en 1859 qui enfouit les réserves d’un négociant d’eaux-de-vie. Elles furent en partie détruites en 1944 par l’explosion des munitions allemandes qui y étaient entreposées du fait du sacrifice de deux résistants à l’occupation : Pierre Ruibet et Claude Gatineau. Aujourd’hui, complètement sécurisées, elles sont le siège d’un site thermal. L’office de tourisme propose des visites guidées de ces carrièresVous devriez aller voir par là…

Alice Chut

Reprendre Dialogues #2 et ajouter l’interdit d’aller au-delà, ou dans le métro, Alice perdue et la borne dépassée.
L’interdit qui pesait sur l’enfant et puis tout à coup, on lui demande de le faire peser sur sa grand-mère.

Squat Sang noir

Les premiers essais de rêvoyages ont été réalisés à une époque et à partir d’un lieu où rien ne pouvait laisser entrevoir pareille aventure. Deux mondes se côtoient alors : celui de la petite ville et celui de l’expérimentation, la première ignorant tout de la seconde, de cette frontière qui les sépare.

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

Un commentaire à propos de “40JOURS # 38 Balade spatio-temporelle des bornes”

  1. « Ici les bornes se déplacent la nuit » disait Robert, le voisin, en gratouillant le sol de son bâton-cane pour qu’on puisse mieux y voir le cailloux peint en rouge et caché sous la mousse…