Un peu plus de trente-deux ans qu’il a quitté la ville de son enfance, il souffre toujours quand il y repense.
Basile craint le mot FRONTIÈRE depuis qu’il est enfant. Dedans il a toujours entendu le mot GUERRE mais il ne serait pas expliqué pourquoi. Dans sa ville, ce mot FRONTIÈRE, il l’a toujours vu comme une séparation, entre les quartiers, par la langue, par les origines, par les habitations, par la couleur de peau.
Le premier souvenir qui surgit est celui de l’arrivée des Espagnols – c’est comme cela qu’ils avaient été nommés dès le premier jour – venus s’installer dans le terrain en face de chez lui. Des étrangers juste en face chez lui, il a d’abord eu peur. De bric et de broc, le père avait construit une maison pour lui et ses deux enfants – cela ne s’était pas fait en un jour mais le souvenir qui perdure est cette apparition soudaine d’une famille pas comme la sienne ni celle des voisins. Il ne savait rien d’eux. Ils ne parlaient pas la même langue. Près d’un an a été nécessaire pour qu’ils s’apprivoisent mutuellement. La maman était restée invisible.
Il avait sans le vouloir construit un barrage entre eux.
Que de regret pour le temps perdu à ne pas avoir appris à se connaître.
Jusqu’à son entrée en sixième, il ne franchit jamais seul les limites de son quartier. Comme si le loup pouvait rôder non loin ou des vilains. Chez lui, c’était le Maroc, l’un des trente-deux quartiers de sa ville, la cité cheminote. La gare de triage l’a toujours subjuguée. Elle était au bout de la rue de son école et souvent il faisait le grand tour pour rentrer chez lui, il voulait voir le va-et-vient des trains sur les rails. Il n’a jamais eu de train électrique. Pas la peine. Il regardait les wagons aller et venir le long des rails, il s’imaginait chef de gare en train de régler leur ballet. Il franchissait des frontières à leur bord.
Un jour du début des années 1970, fut érigée une nouvelle frontière qui devait désenclaver les quartiers sud de sa ville. La Rocade surgit, elle relie la route de Paris à la route d’Angers. Séparation brutale qui nécessitera la construction d’un autopont pour passer d’un côté à l’autre de la frontière.
Une, deux, …..dix… trente-deux frontières et peut-être plus.