Tu irais bien encore jeter un œil ici et là, comme ça. Aucune obligation, mais une envie. Revoir un endroit, faire revivre un souvenir pour le rendre plus présent, lui donner plus de force, le remonter d’un étage, répit supplémentaire avant l’oubli. Tu en as plusieurs des endroits comme ça en toi.
Le petit lac de Cornillon qui te dit les saisons quand les calendriers se perdent. Tu montes par le chemin derrière chez toi, par endroits, il est à peine marqué, d’autres hésiteraient, croiraient à des sentiers d’animaux, tu ne fais rien pour détromper, tu montes discrètement, en enjambant les branches sans les enlever. Une fois au sommet, c’est un chemin officiel, bien marqué, balisé, utilisé même par les vélos. Alors tu partages jusqu’au bord du lac. Mais là tu t’éloignes encore, tu as ton arbre à toi, couché par la neige il y a bien longtemps, idéal pour s’asseoir et écouter les crapauds chanter le printemps ou sentir monter l’humidité d’un soir d’automne en attendant le coucher de soleil sur les montagnes au loin. Au bord de la mer tu en as bien d’autres, des endroits comme celui-là, où tu aimes aller seul pour pouvoir y rester autant de temps que tu veux, aussi silencieux que tu veux. La croix des veuves, plantée seule sur son promontoire d’herbes comme devaient l’être ces femmes venues guetter au loin le retour des goélettes parties pêcher la morue. Les grands bateaux fatigués rentreraient sûrement à la date prévue, portant sûrement encore celui dont elles rêvaient, caressant une alliance ou réchauffées déjà par un sourire immense. Toutes ces femmes qui sont montées là, et puis celles qui revivent quand un lecteur sensible vient doucement les aider à se relever d’entre les pages relues du livre de Pierre Loti. Un peu plus loin à Paimpol, la jetée au bout du môle de l’écluse, d’où on voit toute la baie, remplie d’eau, remplie de vase, remplie de bateaux qui partent ou de bateaux qui rentrent suivant les horaires de marées, quels que soient les horaires de ces horloges qu’on considère gravement ailleurs mais qui n’ont aucun sens ici où la marée décide. Plus au nord en Écosse, cette distillerie qui a gardé son quai où on peut aller s’asseoir, un petit verre à la main, pour contempler les deux collines jumelles de l’île d’en face, avec dans les narines, suivant les caprices du vent, des senteurs d’iode ou des parfums de whisky. Enfin, à Saint-Malo, tu iras t’asseoir sur le muret de l’école de la marine marchande pour regarder le grand Bé se débarrasser de ses visiteurs, redevenir une île que la marée montante rendra tout entière à son auteur et souverain, à son Chateaubriand. Pour d’autres endroits, tu préfères désormais le pèlerinage en livre, des passages favoris aux pages plus usées. Comme les roches Douvres de Victor Hugo, parce que quoi que tu fasses, quel que soit le bateau, le jour ou même la nuit, il manquera toujours l’élément essentiel loin devant la tempête, il manquera la pieuvre.
L’eau omniprésente et cette dernière phrase qui faitd es frissons dans le dos » il manquera la pieuvre » Merci
Oui, souvenir fort de la lecture et plus fade d’être allée sur place un jour de grand soleil et de trop peu de vent…. Un pèlerinage en mer, ça ne supporte pas toujours les changements de météo