Je les aime pas les pèlerinages. Je les aime pas. Je ne retournerai pas, non, je ne retournerai pas à Châteauroux sur les banquettes de l’Apollo. A l’ombre du château Raoul ? N’y comptez pas. Même pas dans les étages de l’hôtel de ville, face aux grandes fenêtres, vue sur l’étendue plate toute peuplée de fantômes, hordes de cavaliers envahissant le pays. Hors de question que je retourne à Lille. Qu’irais-je donc y faire sur les rives du canal, à cet endroit précis où le lieu cesse d’être lieu, s’emplit de gravats, de métal et de rouille, où s’ouvrent dans les recoins des décors et des parcs, et puis d’autres prétextes. Je ne retournerai pas à Breteuil, non, je ne reverrai pas la maison aux casseroles et son jardin tout en récup, et puis ce couple qui s’interroge, qui des deux récupère le plus, lui qui aime tant les pneus et elle tant la vaisselle. Non décidément non. Je ne veux pas mettre les pieds à Strasbourg, ni l’hiver ni l’été, je ne veux pas suivre les rues que grisent les lueurs tremblotantes de la petite France ou les ragondins qui grignotent et s’ébattent dans l’eau. Je les aime pas les pèlerinages. Je les aime pas. J’aime pas les traces et les réminiscences, j’aime les lits blancs, propres et bien faits. Je n’irai pas au zoo d’Anvers et ses décors de pacotille ni dans ce bar où un nain venait boire, ni dans les quartiers bouffis de joaillerie et de commerces louches. Ha ça non ni à Prague où résonne à jamais un concert de claquettes et pétille une bière légère. On ne me la fait pas. Je vous en foutrai moi des madeleines de Proust, je les aime pas les madeleines, j’aime pas leur forme, j’aime pas leur odeur, j’aime pas le souvenir, ni la nostalgie, je ne supporte pas non, je ne supporte pas les carafes ébréchées. J’ai les brocantes en horreur. J’irai pas j’irai pas. Ni à Boston regarder les baleines, ni à New York glisser sur la highline, ni le long des sentiers de Svanétie dans les montagnes géorgiennes. On ne me croisera pas sur les chemins parcourus, le long des dunes non plus, ha ça non. Vous ne me trouverez pas dans le premier à l’ombre de Beaubourg ni dans le cinquième proche du Panthéon dans les rues trop petites et les odeurs des sandwiches, je ne m’égarerai pas au Luxembourg ni sur les collines de Ménilmontant. Ne comptez pas sur moi à Asnières, ni Gennevilliers, ni Bagneux, ni Cachan, ni Gentilly, ni Arcueil. J’ai assez des cargaisons, des entrepôts, des entrelacs de ponts, des bretelles d’autoroute des saignées dans la ville et du périphérique. Non non non, la boutique est fermée, le rideau est tiré, la mémoire en goguette et le corps au tiroir, laissez moi dormir, je n’irai même pas au bout de la rue, pas même avec un chien. Chaque jour un chemin neuf et un peu d’amnésie, un beau jour, un beau jour tout neuf brillant comme une pièce, l’attention intermittente, l’œil légèrement plissé, puis le mot qui se forme mais la bouche fermée. Ha mais!…
Excellent! J’ai pensé à Brel et à Vesoul…
cette mémère acariâtre hante quelque textes, on me demandait de la faire revenir… la voici donc, son thé, ses petits gâteaux, sa langue amère, ses coups de galoche au chat qui passe
Elle est charmante. Peut-être un futur personnage.
belles non-balades. Merci
Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours