Le parvis donne sur le ciel. Quelques temps déjà qu’elle les suit, dans chaque ville, dans chaque pays. Sur les visages les coulées d’ombre, de lierre. Ils sont contents, pensifs. En contrebas coule l’Arno.
Là-bas les tours et les pavés, les tableaux dans les musées. Elle les suit, elle ne se souvient plus du décor. Elle ne se souvient plus des noms. Il fait chaud dans la ville et la nature a pris des couleurs folles. Les rues se tordent là-bas, en contrebas, ici, les allées sont rectilignes.
Il dit que dans les mentalités antiques, l’édifice compte plus que l’espace qu’il occupe. Il dit que dans les mentalités médiévales, l’espace clos qui enferme les sépultures compte plus que le tombeau. Il dit qu’à compter du dix-septième siècle, la promiscuité entre morts et vivants n’est plus supportable, mal tolérée.
Quelque temps déjà qu’elle les suit, qu’elle les guette, tourne entre les tombes, de place en place, de ville en ville. Elle les guette, eux-mêmes en train de guetter. Ils étaient deux, ils se démultiplient, ils étaient debout, les voilà couchés, secrets, enfouis, hérissés de consonnes.
A quelques mètres, à la sortie, l’éclat d’argent des casseroles, des couverts, l’étain, le cuivre, l’inox, les boutiques alignées.
Il dit qu’au dix-neuvième, ils avaient si peur, si peur d’être enterrés vivants. Il dit que progressivement la mort s’est aseptisée, les tombes simplifiées. Il dit que l’on a d’abord caché les cadavres, puis que c’est le processus entier qui s’est lissé. Il dit que c’est l’époque désormais, de la mort cachée.
La forêt étouffe sous la chaleur.
Le sol respire. Les croix montent et descendent sous l’effet de la grande pulsation. La nuit ils sont là dans la forêt phosphorescente. Le nid de mitraillettes se repeuple. Ils boivent, mangent et tirent. Ils sont sans visage. Ou alors, un visage, déjà presque effacé.
Le jour, tous attendent, grands et petits. Depuis toutes ces années, les petits ont mûri, appris la patience. Ils n’ont en revanche jamais désappris l’ennui. Ils guettent, ils scrutent.
Voilà longtemps, bien longtemps qu’elle les suit. De place en place, ils déambulent, observent et comptent. Dans la nuit phosphorescente, quelques parades silencieuses et ironiques. Tous les âges de la vie. Les mariés s’observent. La petite fille s’ennuie. Le directeur de théâtre joue à l’infini ses scénettes de Guignol devant l’assemblée des soldats attentifs.
Les plus terribles catastrophes n’ont jamais éteint leur gaîté.
Belle poésie sur la mort. En lisant ton texte je me dis que les morts se prêtent bien aux jeux de la poésie.
Oui et depuis bien longtemps. Les passages plus historiques renvoient aux travaux de Philippe Ariès.
Quel voyage au pays de la mort. Merci
Merci Danielle, quel temps passé à vous promener dans les promenades d’autrui! J’espère qu’on y trouve de quoi s’arrêter et regarder le paysage.
Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours