Le vent tombe, sous les pieds nus l’herbe sèche, peut-être un rivage, bruit apaisant de l’eau, aucun cri d’oiseau, les paupières s’ouvrent, crépuscule, lointain, l’île une esquisse, émerge du lointain bleu marine , hypnotique ensemble.
Tout près à gauche, silhouettes qu’une lumière fine découpe, de profil, fantômes, immobiles plis des suaires. Plusieurs, une perpective qui se crée au fur et à mesure de la découverte. Légions d’ombres dans l’attente. En plissant les yeux, tout près Arnold Böcklin, Hans Ruedi Giger, et le vieux Courbet. Des peintres, encore un peu plus loin Siegfried Zademack. Personne ne parle à personne. On regarde l’île, on est là dans l’attente de quelque chose qui ne vient pas. Quelque chose qui tarde. La barque.
C’est Dali qui se retourne. Tu viens d’arriver. Il y a combien de temps… il cligne de l’œil et sort une vieille montre à gousset qu’il me présente dans sa paume ouverte. Les minutes s’égrènent entre ses doigts, tombent sur l’herbe sans bruit. Puis il veut entrer dans le ton de la confidence, ses moustaches se relèvent, sa bouche s’approche… Zademack, est un imposteur, c’est lui qu’il faut interroger pour connaître l’heure d’arrivée du passeur.
Un coup d’œil à Zademack il a l’air mal à l’aise effectivement, regard fuyant. Il prend les devants. Quelle importance, puisque la barque n’arrivera pas avant que nous soyons tous au complet. Racontons nous quelque chose pour passer le temps.
Tenez je commence. Cinq minutes avant que le grand Khan ne plonge complètement dans l’oubli, il aurait lancé une question qui est restée en suspens. Qui peut me dire comment seront les villes du futur. Personne n’a jamais su répondre dit le grand khan qui a l’appel de son nom s’en souvient et s’approche, emmaillotté dans le même habit, sans broderie, sans luxe, sans marque distinctive. Elles sont horizontales dit une voix de femme, non pas du tout elles sont verticales dit une voix d’homme. Les deux. Elles sont meme circulaires tentaculaires désormais dit quelqu’un d’autre. Et ainsi tout à chacun trop content de participer à l’élucidation de la question se mêle, produit une opinion personnelle, le grand khan à la fin, pire qu’au début, dubitatif reste bras ballants. C’est à cet instant qu’on entend un bruit léger de rames caresser la surface lisse des eaux.Et alors qu’on pensait apercevoir une barque c’est une immense arche qui semble arriver sans presque aucun bruit vers le rivage.
Tout en haut de l’arche une gigantesque silhouette immobile. Le passeur.
Silence général.
Puis l’arche accoste des trappes s’ouvrent et toute une armée de fantômes munis de tablettes et de stylets saute sur le rivage
En rang par deux et que ça saute dit une voix d’outre tombe
Ton nom, et ça grave
Ton nom toc toc toc où tac tac tac suivant l’angle d’attaque des stylets.
Courbet dit Courbet
Mets toi sur le côté pour l’instant lui dit-on.
Courbet gueule, c’est un sanguin, mais rien n’y fait.
Tout le monde est désormais à bord, debout serrés les uns contre les autres il y a du monde. Beaucoup de monde, tous les peintres qui ont peint un jour ou l’autre l’île des morts
Certains font un signe au pauvre Courbet
Pourquoi on fait pas monter ce gars là dit quelqu’un
Détournement de tableau quelqu’un répond.
On ne touche pas à l’île des morts dit Adolf Hitler qui lui aussi est monté à bord sans encombre.
Tout le monde se tait l’embarcation progresse lentement et peu à peu l’île semble prendre des dimensions de plus en plus imposante inquiétante. La tâche noire des cyprès en plein centre de la vision commune y est pour beaucoup. Ils sont aussi gigantesques que les rochers gigantesques qui cernent l’entrée de l’île.
Mais en plissant un peu les yeux, les peintres commencent à percevoir la nature des rochers, ils ne sont pas naturels, ce sont des constructions inhumaines creusées de grottes taillées dans une sorte de matériaux, peut être du métal, et qui semble même vivant car on peut encore apercevoir aussi des muscles des veines à la surface des parois. Plus l’embarcation s’approche plus les rochers se métamorphosent, et désormais on peut comprendre qu’ils sont non seulement semblables à un organisme vivant fabuleux puis que celui-ci est habité par des fantômes, apparition disparition, glissement furtives de leurs silhouettes dans des coursives.
Peu à peu la noirceur de la nuit rend indistincte l’ensemble, sauf l’obscurité béante de la masse de cyprès qui semble aspirer le monde tout entier les époques les êtres vers une dimension totalement inconnue.