À Dalmore Beach, le cimetière et la plage font parking commun. L’immensité de l’océan, l’immensité de l’éternité. Vert pour l’un, bleu pour l’autre et les jours de tempête, gris pour tout le monde. Vous êtes ici définitivement à l’abri du vent, comme vous l’étiez, une fois rentrés le soir dans vos blackhouses, au toit de terre et d’herbe, le même que sur vos tombes. Sur toutes les pierres dressées, est inscrit le même nom, c’est Mac Leod pour tous, seuls changent les prénoms et les deux dates inscrites. Trompeuse unité ? Vous n’avez quand même pas vécu tous la même vie ? Pourtant tous dénicheurs d’oiseaux à vos heures, vous le faisiez sûrement avec plus ou moins de goût ou d’habileté, et pendant le trajet pour aller aux falaises, vous aviez chacun vos pensées, vos angoisses et vos rêves. Même lorsque vous pensiez comme les autres aux moutons, vous ne les voyiez pas tous de la même façon. Sous une de ces tombes, celle qui lisait les mots et qui aimait les livres. Sous une autre tombe celle qui tissait le plus fin des tweeds, qui choisissait la laine et prenait grand soin d’enlever tous les brins d’herbes et autres impuretés qui font le tissu rêche. Sous une autre tombe, celle qui était tombée amoureuse de son Mac Leod, amoureux lui aussi de celle qui l’aimait, et puis, usure, lassitude, tromperies, bassesses. Suicide paré d’empoisonnement par quotidienneté. Sous une autre tombe celle qui voulait partir, quitter ce bout de terre, cette île bien trop petite quand on veut voir le monde. Sous une autre tombe, celle qui aimait les roses et qui les cultivait, délaissant ses légumes. Sous une autre tombe, celle qui a attendu, son Mac Leod à elle, pas pire qu’un Mac Donald, mais parti loin en mer et qui n’aura jamais sa place sous une tombe verte, mais juste un peu plus loin, enterré dans l’eau bleue. Pour elles toutes, devenues Mac Leod par les liens du mariage, il y a eu un avant, puis une vie d’épouse dont on se saura jamais que la vue officielle, celle qui colle trop bien avec son étiquette. On voit vos tombes alignées en descendant le petit chemin qui conduit à la plage et, une fois sur le sable, on trouve bien plus qu’ailleurs de ces silhouettes debout, immobiles à la limite des vagues, les yeux perdus là-bas où le grand bleu de l’eau rejoint celui du ciel.
Déconcertant et beau à la fois. Merci