ça se passe vers le haut du village, exactement ça se passe entre le temple et la déviation comme ils l’appellent ici, un terrain abrupt pas bien commode pour faire des trous enterrer célébrer, oui mais au silence et hors de portée des crues de la rivière | murs autour et grilles comme dans tous les cimetières, ouvertes jour et nuit | nombreuses inscriptions | inscriptions relatives aux corps allongés en-dessous, mais quoi peut bien s’inscrire là des hommes ? | genre de noms attachés aux territoires du Sud, noms occitans, noms de bergers, noms de miniers portés sur les stèles ou les pierres plates, prénoms anciens pour la plupart | fils ou fille de, époux épouse de, famille G. ou D. | Michel le fils parti jeune tant pleuré, un vers de Jean Ferrat recopié sur un ruban rouge planté comme un drapeau | Fernand le grand-père disparu dans la vague d’un 17 septembre envahi d’eau, repose désormais hors des murs de la rue principale noircis par les intempéries, n’a pas pu raconter comment il a mis le nez dehors ce jour-là dans le souci de déplacer sa voiture, jamais connu une pluie pareille, n’a pas pu, happé par le flot violent | ses enfants pleuraient le jour resplendissant de sa mise en terre, cyprès dressés dans un bleu jamais connu, je les vois | mots écrits en creux sur le caillou conquis par les lichens, dorures effacées, mots rongés rognés devenus signes cabalistiques, quoi peut être retenu de l’enfant, de la femme ou de l’homme en deux mots, deux dates ? | Lucette en robe et sarrau achetés au marché, fille d’ici, chaise installée dans la rue en été, elle disait « les jours se connaissent » quand les jours rallongeaient, plusieurs fois je l’ai entendue dire, bien gentille, seule, lisait des romans de terroir qu’on sélectionnait pour elle à la bibliothèque | Jacqueline au nom de pirate fameux, âgée, a emporté dans sa musette des centaines de noms de gosses à qui elle a appris à lire et compter | Roger voisin discret, son pot de cendres d’un bleu turquoise au couvercle céladon posé sur le monument au fond à gauche | noms inscriptions incrustations gravures au cœur des pierres taillées ou non, polies ou non, au pied des falaises ruiniformes, noms occitans, noms de bergers de miniers, pas de photos, juste des stèles ou des croix ou des plaques, presque pas de photos, quoi reste des hommes là entre cyprès ? | forcément qu’il y en a des cyprès, écorces, résine couleur de miel, ils embaument le soir quand tout est désert | forcément il y a la nuit et le silence
J’aime ces ombres de vie qui se posent en fragments. Quelques mots pour dessiner une silhouette dans un décor épuré. J’aime ton texte.
merci à toi pour cet écho qui me touche
j’étais pourtant bien mal partie ce matin, dérangée, perturbée par d’autres choses, et puis je voulais rester dans ce lieu que j’ai choisi où je vis (ce pays qui n’est pas le mien) alors que mes pensées m’entraînaient ailleurs, vers « mes » morts, d’autres morts…
se concentrer insister exiger, ça nous apprend cela ce marathon (même si je le savais un peu déjà !)
et c’est vrai que ça rejoint un peu l’idée de galerie de portraits
Françoise, je pense que tu as eu raison de rester dans ton pays d’adoption.
Se concentrer insister exiger, c’est la chose à faire.
Merci pour ton texte qui est fidèle à ton lieu d’écriture !!
c’est vrai que mes « petits » morts me tiraient par la manche, j’ai failli partir ailleurs… mais non
et à me remémorer les dernières funérailles (je ne croyais pas qu’il y en avait autant….), je mesure les quelques années déjà passées ici…
c’est touchant et troublant
Fil fidèle, merci
Tu fais lever tout un corpus de textes qui définissent et donnent une profondeur à ton pays, à celui où tu vis et écris. Pourquoi changer ?
Très bel hommage aux morts que l’on connait tous par leur nom, leurs habitudes. Comme une grande famille ton village ! Et c’est tellement bien !