Le sol n’appartient pas. Ou plutôt il appartient à la ville, à quelqu’un qu’on ne connaît pas, une instance au-dessus. Pas un habitant humain de la ville ne peut dire ce bout de terrain m’appartient. Ou alors juste pour un temps. Un bail emphytéotique, c’est le nom pour une possession limitée dans le temps, à 100 ans, à 50 ans, et la construction peut se revendre, mais le temps de possession du terrain est compté, c’est-à-dire décompté. Après on interroge qui on peut, le notaire, l’agent immobilier, mais après, que ce passera-t-il ? Ne possédera-t-on plus rien, sera-t-on chassé de chez soi, devenu propriété de la ville, sans transaction, parce que c’est stipulé sur l’acte de propriété signé en connaissance de cause devant notaire, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas, oui mais après, la question revient, personne n’y répond, pas de la mauvaise foi, mais personne ne sait vraiment, ne connait la réponse, les habitants emmenés par camions dans les villages désaffectés, qui se meurent, avec les centre ville à cinq magasins maximum et ce n’est pas beaucoup, mais ça permettait de vivre et surtout d’y vieillir, parce qu’il y avait une boulangerie et une boucherie, longtemps après le magasin de musique et celui du libraire qui avait fait bistrot un moment en espérant tenir plus longtemps, mais la perturbation de la circulation depuis la construction des nouvelles autoroutes avait porté un coup d’arrêt au trafic et au passage des acheteurs potentiels, et le chômage, parce qu’à la base c’est le travail qui avant tout mettaient les gens sur la route, à partir vers là où on en promettait, alors ces villages avec les maisons basses en bordure de route ou même les plus cossues, autrefois de médecin, de notaire, rachetées parfois si vous aviez de la chance par des étrangers en mal de dépaysement à la retraite ou de résidence secondaire, mais ça tenait quoi vingt ans tout au plus, avant qu’ils trouvent les trajets mal commodes et la nécessité d’un suivi médical plus approprié, et c’était à nouveau comme toutes les autres le panneau à vendre qui se balançait à la grille, que les intempéries avaient grisé et on devinait que ça ne se vendrait plus à l’état de la pancarte, mais aussi du jardin, jusqu’à ce que les ferrures de volets commencent à rouiller, et un jour forcément le volet de guingois, qui se détacherait bientôt et là c’était même image de désolation, pour toutes les demeures pareilles, pauvres masures ou maison de maître, plus personne n’en voulait, jusqu’à ce que les camions déversent ces gens qui ne possédaient plus rien parce que ce qu’ils avaient cru posséder reposait sur du sable, des immeubles entiers, vous imaginez. Autre chose qu’une pauvre école de village longue et belle et en briques avec les encadrements en marbre d’un coup de crayon d’architecte qui connaissait son affaire et était imprégné de sa fonction animé qu’il était par son amour de l’école publique à cause de son père qui avait fini directeur d’école, rayée de la carte et remplacée par rien, et la terre en dessous et tout autour devenue terre battue trouée de nids de poule avec pour seule traversée anecdotique une voiture à cahoter pour atteindre les trois pommes du tri sélectif des déchets.