Ici on ne construit guère. Il vaut mieux. De la place il y en a pas, vallée étroite et terres escarpées. Pas de tours, pas d’ensembles collectifs, pas de lotissements, pas d’immeubles de bureaux. La loi du développement concentrique n’est pas à l’œuvre et c’est heureux — d’ailleurs on ne voit pas bien comment, à moins d’abattre des pans entiers de montagne. La vie a toujours été orientée en fonction de l’eau, deux petits cours, l’un coulant du Nord-Est l’autre du Nord-Ouest offrant confluence idéale pour l’établissement d’habitations à proximité des mines. À l’époque, besoin de parcelles potagères pour se nourrir, eau indispensable. Besoin de tremper le châtaignier pour le vanner, besoin de tanner les peaux (il existe une rue des Tanneurs dans la ville à côté, en parallèle à la rivière). Le développement s’est opéré naturellement au long de l’eau, en longitudinal. Solides bâtisses sur voûtes en pierre de pays — roche compacte gris sombre, parfois plus clair — et poutres souvent transportées depuis la Lozère, l’ensemble organisé en fonction des ponts et passerelles et en fonction du soleil qui assomme en été.
Ici on ne construit pas, on reconstruit, on remet en état. Ces dernières années on voit pas mal de bétonnières et de petits échafaudages dans les quartiers. Ça complique la circulation. Pas de place pour les manœuvres, on s’organise, on se tolère les uns les autres. La place de la mairie a fait peau neuve, on a mis des belles grilles à la cour de l’école. Une vie un peu différente a repris depuis les graves inondations de 2014. Mais on en parle toujours. De l’eau on a peur quand elle tombe en folie. Il faut beaucoup de terre et de lits de rivière pour l’absorber.
Ici on remet sur pied, on recompose, on n’arrête pas de remonter murs et bancels. Depuis la crise sanitaire, plusieurs des pauvres maisons abandonnées de la rue principale ont trouvé acquéreurs. On rencontre de nouveaux visages.
Avec Nicole, on en parle, on va marcher en hiver par les bouts de chemin qui s’élèvent au-dessus du village, emmitouflées dans nos capes de laine. J’aime aussi me perdre seule dans les bois avoisinants ou dans les ruelles et courettes livrées à l’herbe. On dirait que c’est ailleurs. Parfois il neige. Je vibre avec la saison. Un sentiment d’abandon et de solitude m’envahit. Et c’est bien ainsi.
Photographies Françoise Renaud©, Cévennes 2021
je suis restée dans le fil du lieu village, essayé de m'adapter chaque jour, trouver l'élan qui permet de continuer, le goût des mots, leur puissance... et puis partager un peu de l'espace de vie et de vibration naturelle avec la pierre vivante où je travaille
tes images accompagnent si bien ce récit !
images dans leur jus, d’ici, juste à côté…
merci pour ton passage
Recomposer, ou l’art de rebâtir continuellement à basse intensité…
Merci Françoise pour les visions de ton pays !
dérouler encore et toujours le même fil pour arriver à un tissage original
m’en vais te lire, cher Fil
Oui, très beau, ce « On recompose », ce « on ne construit guère », ce « on reconstruit », ce « on remet sur pied » – Merci Françoise pour cette non destruction. C’est beau.
oui, rien n’est perdu, tout est recomposé au gré des événements tragiques et des perspectives…
donc on pourrait dire que : « ici tout se reconstruit continuellement contre vents et marées » !
(merci Clarence)
Avec la pierre, tu sème tes petit cailloux, bravo.
oui, Laurent, c’est exactement ça
je ne perds pas ma piste !!
je m’en vais vous lire un peu… en attendant que la température baisse !
Avec la pierre tu sèmes tes petits cailloux.
je suis en plein dans le dur, dans le caillou, dans les murs de pierre… tu as complètement raison
donc j’use de petits cailloux pour ne pas me perdre !
ton pays pas le tien, ce pays choisi ou rencontré. Dans ces presque quarante jours quel chemins tu nous traces vers lui.
tenté de m’y tenir, de ne pas lâcher
et j’ai essayé de continuer avec la proposition d’aujourd’hui, autour des pierres encore, mais tombales cette fois…
parfois l’impression d’avoir usé de redites, mais bien sûr ce ne sont que des fragments où forcément se ressassent les événements marquants
(merci Nat de suivre ce chemin avec moi….)
Oui, quel beau pays tu nous donnes à découvrir. J’ai adoré le leitmotiv sous la forme de l’adverbe « ici », comme si on avait les pieds bien sur terre !
tu soulignes là l’importance cruciale de la forme, pas toujours simple à faire émerger
et tous les pays sont beaux, le tien aussi… tout dépend du regard qu’on va poser sur eux
merci amie fidèle Helena
A la lecture un sentiment de chaleur et de confort, le chez soi, l’immuable, le content. Peut-être as-tu « La péninsule aux 24 saisons ». Je pense à ce rythme-là.
je ne connais pas la péninsule aux 24 saisons, mais quel beau titre…
tu me donnes une piste si un jour j’assemble tous ces fragments…
merci Marion pour ton passage…