je lui avais demandé : pourquoi tu ne vas pas au Parc, elle avait gardé le silence, un long silence, son regard s’était porté au loin, je ne sais pas s’il s’appuyait sur quelque chose, ou s’il était dans le vague, et quelle vague, quel vide, il y a eu plusieurs jours, c’était sans espoir, l’été s’était assis lourd, j’étais passé la chercher, nous étions allés au bar, elle m’avait encore raconté sa vie, des épisodes, des années que je ne connaissais pas, longuement, sa vie s’agrandissait, autour de moi, j’étais pris dans cette histoire où je n’étais rien, où je n’existais que par mon écoute, nous étions les seuls dehors, au bord de la route, on sursautait au passage de chaque rare voiture, on a fini par revenir un peu ivres, on est descendu jusqu’au Parc, c’est elle qui l’a voulu, au centre la Fontaine son jet dur, l’eau rase débordant du bassin, je ne sais plus si d’abord nous nous sommes assis ou bien si nous sommes restés debout, le Parc est là à cause d’un tremblement de terre, quelques maisons ont été emportées et n’ont pas été reconstruites, la lumière tombe à la verticale des lampadaires, l’herbe taillée est grillée, réduite en poussière, il faut soixante-quatorze pas entre les deux murs les plus lointains, il y a le vide au delà des grilles, en bas la vallée est assez vaste pour tous les morts, ce pourrait être une scène et les maisons avec leurs balcons, le lieu des spectateurs, mais il n’y a personne, pas plus dans le vide que là derrière ces orbites, nul ne vous regarde que le temps, pas de voix qui dise, décrive ou enjoigne, on est avant le chœur, rien n’est écrit, la canicule est d’abord lenteur, les paroles feraient des voiles, il faudrait les faire tournoyer pour qu’elles ne touchent pas terre et poussière, il y en avait encore entre elle et moi des mots, peu, et comme présents mineurs mais lourds d’importance et d’engagement, pourtant le silence règne, c’est lui le personnage, le seul, pas de chœur pour s’opposer à lui, il a avalé jusqu’au passé, il n’y a plus de récit, aller jusqu’au mur et revenir, rester debout face à face, et comme on tombe dans le vide se rapprocher, les mains se touchent et la course soudain, dans les venelles en pente, il y a des marches, comme s’il n’y avait pas de fin
» les paroles feraient des voiles, il faudrait les faire tournoyer pour qu’elles ne touchent pas terre et poussière »
» pourtant le silence règne, c’est lui le personnage, le seul, pas de chœur pour s’opposer à lui, il a avalé jusqu’au passé, il n’y a plus de récit »
Ce qui a eu lieu a eu lieu, on ne peut pas réparer. Juste écouter le silence à perte de vue…de raison aussi…
Très beau texte sur l’impossibilité de Dire.
Merci!