#40jours #34 |une chambre en ville


La chambre, quatre mètres par trois, peu différente des nombreuses autres chambres que l’on trouve dans ce genre d’hôtel bon marché. Meublée d’un lit, d’une armoire, d’une table. La table est grande, ronde, voilà juste en quoi la chambre diffère. À part ça le papier peint ressemble à tous les autres. Par endroit il est aisé réconfortant de reconnaître le grossier camouflage du parquet recouvert de lino on trouve des bosses, des renflements familiers ça et là. Dans un angle près de la fenêtre un lavabo en faïence, avec quelques éclats dus à des objets échappés qui suivant divers angles et trajectoires auront heurté le fond, mais en nombre restreint, insuffisant pour éprouver une sensation d’agression ou de décrépitude. La fenêtre donne sur une rue ,des façades , des immeubles, une fenêtre normale, facile à ouvrir et refermer sans forcer. L’impression générale offre la facilité de penser qu’on pourra vivre et travailler ici sans avoir à lutter pour oublier le décor, l’environnement immédiat.
Cette première observation achevée, suffisamment précise, mais pas trop, permet t’elle de créer cet infime mouvement qui met en branle l’imagination, et de passer à l’étape suivante, c’est à dire la perception physique d’une chambre, pas seulement dans la tête mais dans tout le reste du corps. D’après une expérience bien rodée, s’allonger sur le lit est un excellent préambule. On peut fixer le plafond quelques instant, mais pas n’importe comment, surtout pas d’une façon vague. Au contraire parcourir l’ensemble de la surface et attacher l’œil à un point très précis, un point sombre qui contraste avec la valeur générale du plafond, fissure, choc crée par l’extrémité supérieure d’un manche de balai, trace d’excrément laissée par un insecte, début de crevasse ou de fissure. Ne plus lâcher ce point durant une durée variable selon le moment de la journée où l’on effectue l’opération, le degré de fatigue, l’encombrement habituel des pensées confrontées à une nouvelle rencontre avec l’impersonnel. Ensuite ouvrir grand les oreilles, bien sûr il s’agit d’une opération imaginaire à nouveau. Rien n’empêche d’effectuer quelques aller-retour entre l’imagination et la perception surtout si on débute dans cette pratique peu prisée de vivre à l’hôtel. L’œil encore fixé au plafond laisser la réalité, ce qu’on considère généralement comme étant celle-ci, pénétrer par les oreilles. Laisser le flot pénétrer sans volonté de tri, laisser tout entrer pêle-mêle: cri de martinets, bruits de moteurs, Klaxons, voix étrangères se hélant l’une l’autre, rires, pleurs, gargouillis de la plomberie du bâtiment, écoulements de liquides divers dans les tuyaux. À l’inverse de l’opération prescrite pour l’œil, laisser un bon moment tout le vague entrer ainsi par vos oreilles sans que celles-ci ne cherchent à s’appuyer sur un bruit en particulier, le mieux est de les absorber tous d’un seul coup comme une cuillerée à soupe d’huile de foie de morue. Il est rare que l’on évoque les relations secrètes entre l’ouïe et le goût, mais si on persévère dans cette pratique, indéniablement on le remarque. Souvent de façon inopinée, incongrue parfois aussi, on pourrait évoquer une sorte de grâce qui met soudain l’oreille et la langue en relation. Il ne faut pour autant pas rechercher la grâce, cela ne marche pas, tout au contraire plus on se fixe sur elle plus elle regimbera à nous tomber dessus. Une fois l’oreille et la langue connectées, on est presque sûr d’être sur la bonne voie. Cela permet de décrire tout ce que l’on perçoit généralement par les cinq sens habituels, communs. Pour cette nouvelle étape, on ne peut y parvenir du premier coup. Il sera nécessaire de s’entraîner plusieurs fois, et ce à divers moments du jour comme de la nuit. Si à un moment ou un autre on éprouve comme une sensation ou mieux ,un besoin de leviter, ne surtout pas se précipiter, encore une fois prendre le temps, cultiver la patience comme la ténacité, l’endurance.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

5 commentaires à propos de “#40jours #34 |une chambre en ville”

  1. Quelle visite, tu fais un sacré agent immobilier, et on tremble d’un rien comme d’un excrément d’insecte pour finalement cette élévation… tout est réel et pourtant… un texte qui accroche entre la description très extérieure du début et très organique de la fin, bravo,

    • Suis en pleine lecture de Simondon, j’en extirpe des bribes. Ça se télescope avec la peinture, les consignes de l’atelier, un vrai chantier. Zappé l’ouverture vers le fantastique, après coup à la relecture, pas grave … on peut s’imaginer puis percevoir… merci Catherine pour ce signe

      • Ne t’inquiète pas la lévitation sa perspective est carrément fantastique, je repense encore à ce que Fabienne a dit : le lecteur voit, entend, lit hors-champ un autre livre que celui que j’ai écrit… ça fonctionne comme ça ici,

  2. beaucoup de distance avec cette chambre qui peu à peu se dessine en nous
    je retiens fort : « attacher l’œil à un point très précis, un point sombre qui contraste avec la valeur générale du plafond, fissure, choc crée par l’extrémité supérieure d’un manche de balai, trace d’excrément laissée par un insecte, début de crevasse ou de fissure »
    le fait que tu mettes la peinture de Van Gogh modifie les perceptions, en tout a modifié les miennes… peut-être que…