Cela faisait déjà un certain temps qu’ils cherchaient où passer la nuit. Mon père conduisait, ma mère à ses côtés, moi assise à l’arrière de la voiture tel un paquet ou une enfant unique qui s’ennuie.
Lors de ces vacances en Bretagne, à la fin des années 60, des champs d’artichauts bordaient les routes et d’énormes bosquets d’hortensias bleus ornaient les entrées d’hôtels, qui ce jour-là s’avéraient être complets. Les possibilités d’hébergement se réduisaient de plus en plus. À chaque fois qu’on s’arrêtait, ma mère sortait de la voiture, pour aller demander si on pouvait nous recevoir. Elle revenait trois minutes plus tard, accompagnée d’une réponse négative.
Le même scénario se répéta, jusqu’au moment où elle annonça qu’elle avait trouvé une chambre. Il fallait la visiter, avant de confirmer. Mon père gara la voiture, j’en sortis avec lui. Même si ce n’était pas mon affaire, j’étais contente qu’on s’arrête, qu’on ait trouvé où dormir. Tous les trois on entra dans le hall de d’établissement, puis on suivit l’hôtelière dans l’unique chambre libre, simple et modeste, au premier étage avec vue sur jardin. Elle conviendra, décida mon père.
Alors mes parents sont repartis, me laissant seule dans la chambre. Et là je me suis retrouvée dans une chambre inconnue. Non seulement seule, mais enfermée à clé dans cette chambre. Et là le monde s’est intégralement écroulé. Tout mon petit monde s’est effondré d’un coup. Pourquoi auraient-ils fermé cette porte à clé si ce n’était pour m’y laisser, m’y abandonner, pour que je ne puisse plus sortir, aller les rejoindre, les retrouver ? Ils voulaient se débarrasser de moi, c’était leur désir, leur volonté. Abandonnée comme un chat avant les vacances pour vivre leur vie sans moi, ne plus les déranger. Soudain à un âge où on sait à peine lire, je me retrouvais seule au monde, enfermée dans une chambre d’hôtel, entourée de tant d’inconnues.
En un instant je me suis retrouvée le Petit Poucet, le Petit Chaperon rouge, et autres figures terrifiées de contes abominables Totalement perdue, paniquée, démunie, abandonnée. Aurais-je eu aussi peur si je ne connaissais pas ces histoires effrayantes ? Alors j’ai pleuré, j’ai crié, peut-être même tapé dans la porte de mes poings fermés, tel un prisonnier affichant sa révolte, dans un film. Ce ne pouvait pas être vrai, ils ne pouvaient pas avoir fait ça, m’avoir fait ça. Mes vrais parents ne m’auraient jamais laissée ici pour repartir sur les routes tous les deux. Pourtant j’étais là sans eux dans cette chambre d’hôtel anonyme.
Terriblement inquiétant, nos peurs d’enfants réelles ou imaginaires devant cette porte qui se referme. Merci