Dans le petit matin rougi d’aube, il fait chaud encore. Nous avions évacué nos maisons en pleine nuit et avions attendu que l’incendie soit maitrisé pour pouvoir y retourner. J’avais réussi tant bien que mal à me rendormir rafraichie par des serviettes humides. Plus aucun ventilateur ne fonctionne. Nous n’avons plus l’électricité. La ville s’éveille, ignorante encore de la nuit que vient de passer le quartier. L’événement donnerait sans doute lieu à un article dans le journal local. La nuit a été hachée, entrecoupée de visions angoissantes. Je ne tarde pas à m’en arracher au petit matin et à me rendre sur les lieux précis du brasier au bout de la ruelle. Le spectacle me fait monter les larmes aux yeux. Un fragment de ma ville a tout bonnement disparu. La large dalle de béton surélevée par rapport à la rue est comme mise à nu, débarrassée vidée des bâtiments qu’elle supportait. A la place des amas ici et là de tôles tordues recouvertes d’une fine couche de poussière grise parfois rougie de rouille. Seule verticalité échappée du brasier : le large cadre en béton d’une porte léché de trainées noires. Posé le long, à droite, un miroir, reflétant le ciel bleu pâle, blanc avec ça et là de rares nuages. Je me demande comment ce miroir a pu échapper à la violence des flammes. Derrière, debout sur son piédestal dans le fracas de tôle et d’acier à ses pieds, la statue de Saint-Antoine de Padoue, noircie, seul vestige du passé du lieu. Sur le sol pavé, trouvaille incroyable, une page de dictionnaire aux bords roussis. Je la ramasse. Elle est toute chaude encore. L’air est lourd chargé de cendres et de fines particules qui me font tousser. Je m’approche du miroir et ce que j’y vois me laisse sans voix : non pas mon reflet dans la rue mais un visage familier, celui d’Alain, l’un des squatteurs du quartier, le visage barbouillé de larmes de cendres et de rouille, une feuille aux bords roussis à la main. Je me retourne. Personne. La page de dictionnaire que je venais de ramasser avait disparu. Elle aussi. L’ai-je lâché dans ma surprise ? Je m’approche du miroir qui cette fois ne reflète plus que le ciel bleu et blanc et moi traits tirés et fatigués.
Très belle approche de cette bascule du réel !
J’ai vraiment beaucoup aimé.
Merci Émilie.
Merci Fil de ta lecture précieuse !