Au fond de la propriété de nos voisins qui délaissaient leur jardin pour ne vivre que du côté rue, à l’opposée de chez nous, une vieille fosse de compostage était négligée depuis longtemps. Le jardin n’était plus entretenu, à l’abandon. À l’automne, les nombreux arbres du parc perdaient leur feuillage roux en abondance, le sol était régulièrement recouvert d’une épaisse couche de feuilles mortes. Personne dans cette famille ne s’aventurait plus depuis longtemps dans le fond sombre du jardin. Un matin cependant, alors que je m’amusais tout seul de l’autre côté de la grille qui séparait nos deux maisons, jouant seul dans mon jardin, j’aperçus une fillette de mon âge, petite blonde chétive dans sa longue robe rose, qui jouait à l’extrémité de la propriété, loin de la surveillance de ses parents. Je restais à distance un long moment à l’observer, caché discrètement derrière des buissons, sans qu’elle puisse me voir. Elle avançait non sans mal, ses pas ralentis par la masse impressionnante des feuilles en tas qui entravait ses fines jambes et ralentissait son allure. D’un bond agile elle sauta sur l’étroite margelle de la fosse. Elle sautillait sur le rebord, bras en l’air, gesticulant, improvisant une sorte de danse votive, de chorégraphie périlleuse, car elle ignorait que sous l’épaisse couche de feuilles qui recouvrait totalement la surface sombre de la fosse, celle-ci dissimulait une profonde masse d’eau provenant de la pluie des derniers jours de l’automne qui avait transformé la fosse en cuve. Elle s’amusait innocemment sans se douter du risque que chacun de ses petits sauts aériens lui faisait prendre. Elle pouvait perdre l’équilibre à tout instant, tomber dans l’eau glacée, et se noyer. Je n’arrivais pas à l’appeler pour la prévenir, tétanisée par la peur que mon cri la fasse chavirer et la cruelle satisfaction de maîtriser quelques chose à distance qu’elle ne pouvait pas contrôler, dont elle était dépourvue. Elle était à ma portée mais je restais muet, fasciné par le danger. Le chien des voisins se mit à aboyer dans mon dos de manière imprévisible. Je me retournais brusquement, sursautant, surpris par son cri. Quand je me retournais, la fillette avait disparu.
Je sais que c’est la consigne mais…une histoire pareille on aimerait la suivre !
Merci beaucoup Xavier, mais en fait elle s’arrête vraiment là cette histoire, je crois que c’est une des scènes marquantes de mon enfance, qui explique ma fascination pour ce thème de la disparition. Ce qui est là près de nous qui soudain n’est plus là mais qui pourtant continue de nous accompagner. Présence fantomatique.
Inquiétante étrangeté !!
Merci Philippe pour cette histoire fantastique !
Merci Philippe, cette première incursion dans cette inquiétante étrangeté me donne bien envie de poursuivre. D’autres scènes du même genre me reviennent en mémoire. Je crois que François devrait proposer un atelier autour de ce thème.
je ne sais pourquoi ça a ranimé en moi la vision des deux fillettes en robe bleue qui apparaissent dans les couloirs du Stanley hôtel (Shining)
ta fillette est cependant plus séduisante et donc un peu moins effrayante
beaucoup aimé la délicatesse
Merci Françoise, il y a dans ta remarque sur les sœurs du film « Shining » de Kubrick quelque chose de très juste, la ressemblance des jumelles avec la fillette au bord de la margelle n’est pas si éloignée, mais ce qui est différent par contre c’est que contrairement aux jumelles qui sont détentrices d’un terrible secret concernant l’hôtel Overlook, dans mon histoire c’est le garçon qui préserve en lui, et presque malgré lui, ce secret. Je me rends compte au passage, qu’aujourd’hui ces deux femmes, Louise et Lisa Burns, ont le même âge que moi et vivent à Londres.
« Je n’arrivais pas à l’appeler pour la prévenir, tétanisée par la peur que mon cri la fasse chavirer et la cruelle satisfaction de maîtriser quelques chose à distance qu’elle ne pouvait pas contrôler, dont elle était dépourvue. Elle était à ma portée mais je restais muet, fasciné par le danger. »
Beau et ambivalent. Il faudrait se méfier de l’eau qui dort sous les feuilles de celui qui épie.
Merci beaucoup Nathalie, c’est en effet très ambivalent cette observation à distance, mais le personnage se retrouve piégé à son propre piège, un instant d’inattention, le regard qui se détourne et tout ce qu’il croyait voir disparait aussi vitre qu’il lui était apparu, comme une pensée qui nous traverse la tête et qui s’efface sans qu’on parvienne à la garder. J’ai toujours pensé qu’il y avait un lien puissant entre fantôme et fantasme et que ce n’était pas qu’homophonique.