Ça mesure combien l’effroi ? Un mètre ? La différence de taille entre un enfant de deux ans et un adulte ? Une centaine de mètres, la hauteur du deuxième étage de la Tour Eiffel jusqu’au sol ? Vingt centimètres, ce qui m’a manqué pour attraper ta main quand tu as lâché prise ? Ça mesure quoi l’effroi ? La distance d’une vie ? Le poids d’un regret ? La chaleur d’une colère ? Le degré d’alcool d’un oubli ?
Ne t’inquiète pas, ma fille. Ton père veille sur toi, ta mère veille sur toi, ta gardienne, ton institutrice, ton entraîneur, ton prof veillent sur toi, ton patron, ton mari, ton voisin, ton épicier. Ça s’écrit comment l’effroi ? Avec les quatre lettres du mot viol ? Avec l’encre du silence qui reste invisible pour tout le monde sauf pour toi ? Avec les larmes sèches qui coulent à l’intérieur de ton être et qui tuent toute forme d’idéal ? Ne t’inquiète pas, mon fils. Tu seras beau, tu seras grand, tu seras fort. Tu seras plus beau, tu seras plus grand, tu seras plus fort. Tellement plus fort. Tu seras le maître de la violence qu’on t’a enseigné. Ça possède quel regard l’effroi ? Celui du soldat ennemi qui tu égorges avec un couteau ? Celui de ta mère qui ne se rappelle pas quand tu as basculé ? Le tien quand tu dois partir à la guerre et que la drogue ne te fait plus d’effet ? (Ne te repose pas, lecteur, les fils aussi se font violer. Ne souffle pas lectrice, les filles aussi savent assassiner.)
Ça mesure combien l’effroi ? Quelques lignes sur une page de blog un matin de fête nationale à l’heure où les soldats tricolorisent les Champs-Élysées ? Des boyaux tordus par ces quelques mots, le temps d’aller dégueuler son café noir ? Le temps de trouver l’interrupteur au milieu de la nuit et d’allumer la lumière ?
Écrire la beauté jusqu’à l’inquiétude. Écrire la vie, écrire la mort. Écrire l’eau, l’air, le feu, le bois, la barbe-à-papa et la touffe d’herbe. Jusqu’à l’inquiétude. Écrire le juste, écrire le juste, écrire le juste jusqu’à l’inquiétude. Écrire moi, écrire toi, écrire nous et eux et ils et elles jusqu’à ce que l’inquiétude disparaisse. Écrire la mort jusqu’à l’effroi. Et puis après, et encore après, et toujours après. Écrire la mort jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’effroi.
Ça mesure combien l’effroi ? De façon générale, l’effroi mesure la taille du cauchemar. Pas plus.
Si l’effroi mesure la taille de nos enfants et leur mesure dans nos peau elle s’écroule sous nos poids. Merci pour ce texte.
Avoir des enfants souvent construit l’effroi s’il n’était pas déjà conscient avant. Souvent déjà mais pire encore. La peur pour soi est une chose celle pour l’autre peau gouffre.
Les sources de nos effrois sont insondables. Douloureux de s’y tremper.
La gorge nouée du scripteur qui laisse passer l’effroi dans ses mots. la colère subséquente tellement tellement partagée… Merci Ugo pour ce moment de lecture critique et solidaire. Le cauchemar est la monnaie d’échange de celles et ceux qui ne ferment pas les yeux… le comble…
Oui, gorge nouée. Pas évident. Merci.
oui écrire jusqu’à malaxer l’inquiétude à pleines mains, à pleine voix
écrire, vivre, écrire,
superbe …
Merci Françoise. Manque, pour moi, de l’apaisement. Comme tu as pu faire.
Belle interrogation JLuc !
Merci pour cette lecture d’un texte engagé.
Merci Fil. Ce malaxage de matière laisse des traces. Un jour férié pour s’en débarrasser.
bravo pour ce superbe texte.