Le premier nom de ville lu dans un livre, comme j’ai peine à m’en souvenir, peut-être était-ce dans un conte, et le narrateur disait seulement la ville, ce qui laissait toute liberté d’imaginer la ville comme on voulait. Mais justement qu’imaginais-tu porté par la sonorité de ce simple mot, t’en souviens-tu… difficile, ténu, sinueux le chemin du retour , afin de pouvoir soudain s’engager, le front presque libre, mais en maintenant la vigilance de ne pas glisser d’un côté ou l’autre dans une pensée qui tire sa substance d’autres lectures plus tardives ou des villes réellement traversées.
Ville comme dans l’histoire du rat des villes comme champs comme dans le rat des champs. Et rat aussitôt fait glisser la bille translucide du souvenir soudain vers la frontière, elle prend son élan, saute le le Rhin et roule comme un bolide vers Hamelin.
Que représente Hamelin déjà sinon l’hostilité et la peur des braves gens à la fantaisie. De cette ville là qui s’évanouit déjà pour laisser place à Brême et à cette fraternité d’animaux qui réunit le coq et l’âne, cet âne comme il te ressemblait quand il s’agissait de sauver sa peau, de fuir la maison familiale, rêver de devenir musicien.Copenhague serait la prochaine ville, si la mémoire suivait une logique, si celle-ci ondulante ne me rappelait Ondine, dite aussi la petite Sirène d’Andersen… mais cette ville n’est pas évoquée dans cette histoire, voilà bien l’exemple de la difficulté de ne pas glisser. Niels Holgerson chevauchant son vieux jars Martin voyait-il une ville quelconque au dessous d’eux, s’intéressait il vraiment à toutes les régions de Suede traversées, ou bien était-il comme moi à fixer toujours un horizon lointain, refusant toute idée de géographie, parce que trop scolaire, parce que c’était du devoir. D’ailleurs même à ce jour, à part la capitale je serais totalement unfichu de citer la moindre ville de suède comme ça, de mémoire. Mais déjà je disserte, digresse, et le fil de la mémoire s’effiloche, vexé sans doute de ma tendance naturelle à vouloir m’en écarter, pour ne pas revivre sans doute des moments pénibles. Au secours Michel Strogoff alors et tout de suite Nijni Novgorod apparaît suivie de près par Marco Polo et Gorki. Peut-être est-ce seulement à cela qu’il convient de se tenir au dessus du vide, aux mots, aux noms des personnages qui une fois prononcés s’écarteront et indiqueront en silence d’un geste la prochaine ville, bon sang toutes ces villes à partir de là Zanzibar, Samarcande , d’Istanbul à Bagdad, d’Isfahan à Srinagar, Lassa, et cette ville imaginaire soit- disant Shambhala où se trouve le roi du Monde. Mais trop facile encore il faut encore plus se rassembler au plus profond de soi, écouter avec un plus grand silence encore la sonorité des mots, car ces villes écrites ou prononcées déclenchaient encore des univers de sensations, de formes de couleurs, voire même des odeurs. C’est ce temps là sans doute qui contient déjà en germe la façon dont plus tard on laissera pénétrer en soi des noms de villes plus modernes, que l’on structurera un peu plus sa pensée vis à vis d’elles. Les rendant à la fois plus réels si on veut mais d’autant plus lointaines, étrangères, froides souvent ou simplement décors de tous les bégaiements de nos sempiternelles histoires.
J’aurais pu comme toi évoquer mes lectures d’enfance et les villes qu’elles contenaient, mais je m’aperçois que je ne m’y intéressais pas. J’avais trop à faire avec ce qu’il y avait à lire dans les paysages dans et autour du village. Je n’ai jamais voulu fuir ma famille. J’ai toujours lu dès l’année avant le CP je lalousais mes frères.Chaque livre n’était qu’une étape, je revenais en arrière si j’avais mal compris ou si le plaisir de lecture me ramenait les émotions que je recherchais.Je pense notamment à cette Ballerone de Majorque, qui se passait dans un pays très chaud et qui me faisait fantasmer ( deux enfants un frère et une soeur y vivaient seuls dans la misère et s’étaient tirés d’affaire…) Je crois que je suis une indécrottable casanière, je fais partie des êtres qui aiment demeurer en faction pour garder la maison intacte. Mes lectures servent à cela. Je ne lis pas pour m’amuser. J’aime la beauté des textes, leur profondeur, leur élégange simple, leur capacité à relier les destins. Pour autant, tes lectures me sont familières, je les aussi traversées. Même si je note ta lassitude à évoquer ces lectures qui ne recèlent que « de nos sempiternelles histoires. » Mais ce ne sont pas toujours les mêmes justement.
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