Une maison étroite en étages, une tour presque, si près du fleuve que la ville n’a pu glisser qu’une ruelle entre les deux. Des fenêtres on voit tout de suite l’eau sale. Ce sont des pièces où être seul. Le temps s’arrête à force qu’il lise.
De dessus, en oiseau, le quai, il s’interrompt en ligne, puis la mer, autre place. Deux points : un homme assis sur une chaise, la guitare, un autre près de lui, la bouteille sur le pavé. Le soir meurt jaune.
Un banc, un soir tiède nordique. Le banc est inconfortable, il est trop rond, il n’est pas fait pour un dos, mais c’est le seul à dispenser la halte. Il faut bien qu’il y ait quelque chose autour. Je ne le vois pas. Une scène de théâtre, si vous voulez, mais sans spectateur, sans applaudissement, sans intrigue. On peut ajouter un mur, un mur de briques rouges, un mur sans fenêtre qui prend tout le regard. Vous vouliez un personnage : le voici.
La luxure de la ville pour qui arrive de loin, la surprise renouvelée, la rapidité, les langues, les couleurs mélangées, le jeu, l’arnaque, un jour ordinaire serait comme une fête, mais il y a la grande fête qui multiplie tout sauf l’espace et les murs, et il y a une mort à venir. Sauf toi qui lis, nul ne sait que le monde sera mis à bas.
Le canal, c’est le titre. Il n’y a presque rien en plus. Les silhouettes. Elles bougent, se rencontrent, se séparent, comme une tâche sombre déposée pour renforcer la couleur. C’est l’hiver, la nuit bleue, comme la couverture. J’ai longtemps vu le livre, je le vois encore, avant de le lire et de l’oublier. J’habitais alors près du canal. Il était en bas, le cimetière le longeait.
La rue sale comme une fosse, au plus profond le fil noir de l’égout, un peuple, une cour. On ne peut pas aller en arrière, pas de perspective, on est sur la scène, on est dans la cage. Tu sens l’haleine des putains, des ivrognes, des voleurs. La foudre est à hauteur d’homme, c’est une femme. Elle passe.
C’est l’hiver, toute lampe sera douce, splendeur de la lumière, froid enveloppant, rassemblant le corps, faisant croire à son unité, dehors l’espace ouvert, chaque détail est merveille au regard. La forêt n’est pas loin, ni les champs, on pourrait aller loin, sans arrêt, sans retour. Et jusqu’au nom de Doncières qui existe vraiment et où habitait un de mes amis les plus chers.
La rue n’existe pas sur le plan où le cherche l’enfant. Elle n’est dans la mémoire que nom et pourtant il est bien écrit : elle a été percé, mais on ne la voit pas, on sait qu’il y a un café, peut-être de l’autre côté de l’immeuble. On ne voit même pas le trottoir, on ne voit que l’immeuble et même pas la façade puisqu’elle a été enlevée, et puisque l’intérieur devient l’univers à mesure qu’on le parcourt. L’existence de l’instant du vingt-trois juin mille neuf cent soixante-quinze à huit heures du soir est par contre attestée.