Trois visages autour de la table dans un coin sombre. Ça boit de la fine à l’eau pour s’encourager, ça trinque. Le visage de la femme ressort beaucoup, ceux des hommes, teint mat, moustaches, barbes et casquette n’attrapant pas si bien qu’elle le pauvre halo du quinquet. Ça se parle à l’oreille, ça ourdit. Une main pose une cruche pleine. Encore une tournée. Les bustes se redressent. Elle ressert son châle. Il y a des poings sur la table et des doigts impatients. Ça s’échange des regards lourds de détermination. La tablée se lève comme un seul homme.
Une tombe sous la lune. Elle baigne le cimetière, derrière. La stèle verticale à décor de couronne et rubans a été posée, mais pas encore la pierre et le nom manque. Un lapin s’est arrêté un instant sur la terre fraîchement tournée. Il lève le nez et décampe. Des croqueneaux, deux pantalons effrangés, une grande jupe qui ramasse la poussière : l’été n’en finit pas finir, c’est sec comme tout. Une pelle brille. Ça creuse. Un guette le nez au vent, l’autre se tient au bord du trou, le troisième creuse. À tour de rôle. La lune déplace l’ombre de la stèle. Une tête à casquette sort du trou. Franc sourire.
Au loin, sur le sentier caillouteux, dans la profondeur de la nuit, trois silhouettes s’en vont d’un bon pas. Les deux hommes devant, la femme aux pieds. Ça porte un long paquet blanc qui se détache longtemps, même quand les silhouettes se sont confondues avec l’ombre des arbres.
Morbide glaçant merci
Pauvre lapin, tu lui a fait peur. Il sort d’où d’abord, ce lapin blanc (je l’imagine blanc, pourtant même les nuits de pleine lune un blanc c’est noir) ? — Je ne veux pas savoir ce qu’il y a dans le grand paquet. — C’est la partie des joueurs de cartes qui a mal tourné ? Ou un passage inconnu de La Corde au cou de Gaboriau ? — En tout cas ça fonctionne bien, trois scènes comme ça, comme les trois coups au théâtre, et le rideau se lève sur rien. — On met quoi en terre ? C’est justement ça qui justifie Sauveterre en son nom ? — J’aime bien ce petit format, ça change. Je devrais essayer, je gagnerais du temps.