La rue serpente lentement entre les façades aux revêtements colorés, volets clos et les murs en pierre de meulière chapeautés de lierres rampant qui protègent les jardins secrets de Montmartre. Les pavés glissant luisent dans la nuit sombre, leur surface granuleuse reflète l’étincelant éclairage des lampadaires, leurs boules incandescentes, constellation d’étoiles dans le firmament parisien. L’homme ralentit son allure effrayé par son irrésistible élan qu’il juge soudain déplacé dans cet espace silencieux qui le dépasse. Il ose à peine avancer sur le trottoir brillant dans l’obscurité, de peur de glisser sur cette fine pellicule d’humidité naissante, il redoute d’entendre dans le bruit mécanique de ses talons martelant le bitume l’écho menaçant d’un pas qui le poursuit, à quelques mètres derrière lui, à l’affût, son inquiétante projection qui le recouvre planant au-dessus de lui comme une ombre gigantesque. La volée de marches étroites de l’escalier disparaît vertigineusement vers le bas de la ville plongée dans la pénombre du lointain. L’homme se retient comme il peut à la rambarde métallique pour éviter de tomber. Les feuillages des arbustes qui bordent le parc se mettent à bouger doucement, léger frémissement dont il tarde à saisir l’origine. Pas un souffle de vent à cette heure. Un chat s’étire en s’extirpant des buissons. Lorsqu’il aperçoit l’imprévisible passant il s’éloigne d’un bond en filant vers le bas de l’escalier, surpris de ne pas l’avoir anticipé. Silhouette passagère à peine entr’aperçue. L’homme continue d’avancer dans la rue déserte. Il lève les yeux au ciel pour contempler la nuit étoilée. Il remarque dans cette position une fenêtre qui est restée allumée dans la nuit. Il se demande bien qui peut être encore debout à cette heure indue. Il se sent un peu moins solitaire soudain, solidaire de ce inconnu avec qui il partage cette marginalité des noctambules et des insomniaques. Il reste un long moment immobile au milieu du trottoir dans l’espoir d’y voir passer quelqu’un, il espère même secrètement une présence, pas une rencontre, il sait que c’est impossible, cela se voit sur son visage, il a renoncé, mais un signe amical lui ferait du bien, il cherche une forme de connivence même si la distance les laisserait chacun dans son coin, de son côté, cela lui suffirait, il n’est pas exigeant à cette heure, mais rien ne vient. Personne à la fenêtre. Il renonce donc à attendre plus longtemps. Il se fait une raison. La personne qui habite dans cet appartement a simplement oublié d’éteindre la lampe de son salon au moment d’aller se coucher. Il est déçu bien sûr, mais il finit par se remettre en marche, les épaules un peu voûtées par cette déception passagère, ce revers de fortune. Au moment d’abandonner du regard la seule fenêtre encore allumée dans l’immeuble, celle-ci s’éteint brusquement, contre toute attente. Tout espoir n’est donc pas perdu, il veut y voir un signe inversé. Un encouragement. Il poursuit son chemin.
Lent et paisible. Mais c’est sans doute aussi dû à la musique que j’écoute en lisant (Fleetwood Mac, Beautiful child). La nuit garde son mystère entier. Et c’est bien.
Merci beaucoup Jean-Luc, et tout spécialement pour le choix de la bande son du film muet !