Un train est entré en gare et a déversé ses passagers fatigués sur le quai recouvert d’une grande verrière. Un groupe d’hommes et de femmes sont regroupés sur l’esplanade et attendent, certains debout, d’autres assis sur leurs bagages. Des enfants qui n’ont jamais vu la mer s’échappent en direction du port par un large boulevard bordé d’arbres. Leurs mères pleurent, criant leurs prénoms. Une jeune femme se tient encore dans le hall des voyageurs orné de grandes mosaïques et regarde à travers la porte vitrée en partie haute ce qu’il se passe à l’extérieur. Elle tient par leurs capuches trois enfants, deux garçons et une fille. Près d’elle, deux grosses valises en tissus. Elle vient rejoindre le groupe, une valise dans chaque main, la petite fille s’agrippant à la poche de son manteau. Elle surveille les deux garçons, tour à tour, continuellement, afin d’être certaine de ne pas les perdre dans la foule. L’horloge accrochée en haut du campanile indique 18h35. La lumière décroit et, dans quelques minutes, le mince croissant de lune ne suffira pas à éclairer les silhouettes. La foule s’anime à l’arrivée d’un groupe de personnes. L’une d’elle, les cheveux châtains, ondulés au fer à friser, sous un béret, porte un brassard blanc où se dessine une croix rouge. Elle appelle des noms et les dirige vers un homme, une femme ou un couple arrivés avec elle. Tous rabattent et tiennent bien serrés d’une main, les deux extrémités de leur encolure de manteau contre leur cou. Ils marchent les yeux baissés. La jeune femme se rapproche pour mieux entendre. Les enfants courent autour d’elle. Un peu à l’écart, des femmes distribuent du pain. Au fur et à mesure, la foule se disperse dans les rues adjacentes, à pied ou bien en voiture. Elle attend toujours l’appel de son nom, elle ne sait encore où elle sera hébergée. La femme aux cheveux châtains l’appelle en dernier. Elles partiront ensemble vers le cœur de la ville.