#40jours #30 | zones troubles

Que reste t’il de Venise. Plusieurs fois je suis allé à Venise, mais si je désire écrire un texte concernant ces différents voyages je me rends compte qu’il ne m’en reste que peu de souvenirs. Peut-être parce en ces différentes occasions je n’étais pas si présent qu’on doit absolument l’être dans ce type de circonstance lorsqu’on visite une ville, surtout Venise. Il ne m’en reste que des bribes, deux ou trois sons et une vague odeur d’eau croupie, un genre de balbutiement d’images. Et évidemment ma première réaction face à cette indigence mnémonique serait encore de me morfondre, de laisser couler en moi les mêmes sempiternels discours. Tu ne fais jamais attention à rien, tu ne sais pas profiter de la vie, tu n’es jamais là où on t’attends, tu n’es qu’un égoïste qui ne pense toujours qu’à lui-même etc. Évidemment cela m’oblige à imaginer ce que pourrait alors être cette fameuse version de moi-même celle qui vit dans une sorte de rêve, la plupart du temps tellement idyllique qu’elle m’apparaît comme totalement foutraque, aussi foutraque que les émissions que diffuse certaines chaînes télévisuelles sur la pâtisserie la solitude des célibataires en rase campagne, ou bien ces gens qui se marient au premier regard… je crois qu’il faut que j’en fasse définitivement le deuil , ça ne m’arrivera jamais, jamais je ne rejoindrai cette version fabuleuse de moi-même d’autant qu’elle ne tient pas debout , à n’importe quel moment lorsqu’elle m’agacerai trop je me sens d’attaque pour lui balancer une simple pichenette et l’envoyer bouler, l’écrabouiller sur le macadam. Ce garçon gentil et bienveillant toujours prêt à rendre service à du exister un jour mais depuis quelques années hélas je l’ai bel et bien perdu de vue. Lui n’aurait bien sûr absolument rien oublié de la Sérénissime, et il aurait été capable de vous entretenir de longues heures de l’histoire de la ville extirpée des marais , il vous aurait conduit à la gare de Santa Lucia juste pour vous dire de ne pas trop vous y attarder, d’emprunter le premier pont venu pour vous égarer dans la ville. Visiter les ruelles lépreuses du Guetto, là où est né le dessinateur de Corto Maltesse, il vous aurait conduit visiter la galerie de Zoran Music en vous narrant les camps et son histoire et bien sûr il vous aurait récité dans l’ordre chronologique les différents prénoms et dates d’enfouissement des chiens de Peggy Guggenheim en vous décrivant avec force détails quelques toiles de Max Ernst bien moins belles en vrai qu’en reproduction avez vous noté et en vous photographiant – dites cheese svp- devant une statue de Giacometti. Puis avec un peu de chance le même aurait soudain produit comme par miracle des bottes en caoutchouc pour traverser la place Saint-Marc inondée brusquement par une providentielle Aqua Alta. Sans oublier le parapluie déployé au dessus de votre tête pour la protéger de toutes les merdes intempestives de pigeons qui chient sans arrêt dans la belle ville des Doges comme à peu près partout chient ces volatiles idiots dans toutes les villes du monde. Donc non je ne me risquerais sûrement pas à être écrire un texte digne de ce nom sur cette ville d’autant qu’à bien y penser elle est en train de s’enfoncer dans la lagune, qu’il n’en restera plus bientôt qu’un vague souvenir, proche de celui qu’il m’en reste désormais.

Qu’ai-je retenu vraiment d’Istanbul. sans doute y ai je croisé ma propre stupeur incarnée par une Gorgone dans une salle souterraine d’une basilique dont le nom m’échappe à présent que je désire m’en souvenir. Stupeur face à cette ville coupée en deux par la béance du Bosphore. Une promenade sur les quais pour me confondre avec les petites gens, les laborieux, les pêcheurs et fuir les grandes artères avec leurs salons de thé ouverts aux quatre vents et où règne la même mode d’exhibition qu’à Paris. Assis là sans rien noter sans rien photographier sans même penser à rien, voir le coucher du soleil sur le Bosphore et Constantinople Byzance en véritable iconoclaste. Que le reste t’il de cette ville turque sinon la chaleur de la nuit collant ma chemise à la peau, et l’âpreté du marc de café dans la bouche, pas grand chose d’autre permettant d’écrire un texte littéraire, c’est certain.

Suis je vraiment allé à Lisbonne. Oui j’ai du prendre un train pour aller à Lisbonne et retrouver Pessoa, mais je n’ai jamais vu Lisbonne qu’au travers de son regard à lui. Sauf une fois où j’ai pu m’enfuir vers la tour de Belem et où j’ai mis les pieds dans l’eau. Juste une demie-journée , à peine quelques heures. Non à part ça je ne me souviens plus de grand chose sinon que les portugais sont des gens discrets qui n’ennuient personne d’autre qu’eux-même et en silence la plupart du temps , sans paroles exagérées, sans gesticulation inconsidérée, ni moulinet de bras.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

2 commentaires à propos de “#40jours #30 | zones troubles”

  1. Tes « peu de souvenirs » font quand même sacrément mouche !
    Bravo pour cette nostalgie distanciée !
    Merci Patrick