tu avais envie de revenir, quand durant toutes ces années tu prétendais le contraire. tu n’aimais pas l’air tiède qui te saisit à l’arrivée, ni les pierres. tu avais envie de revenir, parce que cette fois tu n’avais pas été à Bastia, tu l’avais bien vue du ciel, tu en avais retrouvé les grandes lignes — le rectangle impeccable de la place Saint-Nicolas, la jetée immense du port de tourisme — mais rien de la fragilité des façades, rien de la beauté qui habite la ville. en quittant l’aéroport vous aviez pris la route de Ponte Leccia, vous aviez filé vers l’ouest en suivant le Golo avant de vous enfoncer dans un paysage dont tu ne souvenais pas. les vallées semblaient s’ouvrir sous vos roues, vertes au cœur, puis le paysage changeait, plus âpre, attiré par la mer. tu n’imagines même pas ce qui t’attend. le village était une impasse. depuis la maison on voyait le soleil s’affaisser dans un ciel au voile uniforme. la décoloration mauve des monts s’étalait à l’horizon, à droite, un reflet de mer. au pied de la maison les ombres s’allongeaient mollement. autour les chants d’hirondelles démentaient toutes les peurs. le jus d’une pêche blanche — le sourire de ta mère — une retenue d’eau froide sous les arbres. le village était comme un souvenir d’enfance qu’on ressasse pour ne pas l’oublier. des voix lointaines, une partie de pétanque, des chiens furieux, l’assourdissement de la fin du jour. tu écoutes le village comme tu écouterais une chanson triste — tu pourrais en écouter des heures entières, à te remplir la gorge de sel. dans votre nuit renversée tu t’effaces. tu fais semblant de boire, s’il le faut tu danses. jusqu’à ce que les corps se lassent et cèdent brusquement. ton sommeil fragile — le lit étroit, le parfum d’une maison nouvelle. sous la fenêtre ouverte une conversation animée. tu t’es levée pour contempler le ciel, c’était un ciel de carte postale, bleu et limpide. toujours les hirondelles faisaient la ronde. Vous vous entassez à nouveau dans la voiture, descendez vers la mer avant les heures chaudes. accoudée à la fenêtre tu fixes la route. le parfum de maquis monte doucement. la mer surgit au détour d’un virage. une piste sablonneuse, des eucalyptus, des oliviers, des fourmis, vous marchez vers le meilleur emplacement. en un seul jour tu retrouvais l’été, la courbe blanche du sable, la joie tremblante de l’eau. une berceuse sauvée de l’enfance. l’allègement sous un soleil têtu.
Envoûtantes ces images qui cheminent vers nos paysages intérieurs et intimes. Les annotations sonores qui donnent vie au village sont particulièrement émouvantes.
merci Michael, c’est bien d’envoûtement dont il s’agit ici.
Magnifique !
« tu en avais retrouvé les grandes lignes — le rectangle impeccable de la place Saint-Nicolas, la jetée immense du port de tourisme — mais rien de la fragilité des façades, rien de la beauté qui habite la ville. »
Je retrouve la Corse telle quelle (les souvenirs d’enfance en moins), la quitter est toujours une peine, la retrouver une effluve de parfums et d’images chaleureuses malgré l’aridité première et le délabrement des façades. Arrivée à Bastia de nuit par la décharge publique, c’est quelque chose, je ne sais pas s’il y a eu des progrès depuis, c’est là que nous avons croisé nos premières vaches vagabondes, insolites dans le surplomb de la vieille ville portuaire… Nous étions conquis dès que nous avons arpenté l’île dans tous ses trésors plus ou moins bien gardés. La fierté corse n’est pas qu’un mythe mais ses racines sont multiples. C’est une belle assiégée qui se défend parfois violemment , c’est de l’intérieur qu’on la comprend.
très touchée Marie-Thérèse par ce commentaire imagé, ces racine multiples que j’ai longtemps essayé de rompre, elles me rattrapent… des progrès il y en a mais l’impression que Bastia ne change pas tout à fait dans le bon sens, gentrification qui dénature certains endroits de la ville qui me sont chers…
merci Caroline pour toutes ces images, ces sensations, ces émotions et ce moment si réel passé en Corse (où je ne suis pourtant jamais allée…)
je crois que je pourrais écrire mille fois ces trajets, ces retours, ces sensations, au cœur d’un projet que je n’arrive pas à mettre en forme, ce doit être trop tôt
merveilleeuses images qui rappelent des souvenirs lointains que je pensais avoir oubliés. Merci
Oh merci Danielle, ai un peu déserté l’atelier, espère trouver l’élan pendant l’été de creuser ces paysages