Années 90. Le magasin se trouvait dans le XVe arrondissement, rue des Entrepreneurs. Ils avaient constitué un stock, le dernier à Paris, de films Super-8 noir & blanc qu'ils vendaient 120 F. l’unité. On en avait acheté deux, ce qui représentait six minutes d’images. En voici un aperçu :
Neige. Sneg. Il neige. Pada sneg. Blocs de glace dérivant sur le Danube. Deux péniches à quai chargées de charbon. La neige au sommet des tas noirs. Vol d’oiseaux affamés, des hérons peut-être, gris anthracite contre le ciel de plâtre.
Cut.
Flocons légers qu’emporte le vent sur le pont détruit. Son tablier brisé net s’enfonce dans le fleuve. Noir d’acier pénétrant le gris des eaux. Zoom avant. Tourbillons de courant contrarié contre les montants d’acier noyés.
Cut.
Écran de télévision. Les bras agités de la présentatrice météo. Son index sur Belgrade : minimales – 8° maximales 1° Trois flocons stylisés sur la région.
Cut.
Zoom sur les cheminées des usines de Pančevo à l’arrêt – longs corps de briques couvertes de suie. Zoom arrière : tuyauteries enchevêtrées. Pas une lumière dans les ateliers, pas un véhicule en mouvement. Au loin un brasero et un homme paumes ouvertes qui grelotte. Il tourne la tête vers la caméra et fait signe de dégager.
Cut.
Nuit. Congères sur le trottoir qu’éclaire un lampadaire blanc. Un souffle de vent écrête la couche supérieure qui se dépose sur une plaque d’égout en fonte. Les bords de la pellicule s’effritent en quelques instants. L’image se consume jusqu’au noir.
Beau ! large en images et pourtant serré, coincé dans ces textes courts. Très évocateurs, beaucoup de place pour le lecteur. Les images ne restent pas seulement en super-8, on peut voyager dans le temps. Merci.
Traverser la ville en descendant ou remontant le fleuve, pour un beau travelling où la caméra ne bouge pas. — Ce qui m’intrigue le plus, c’est de filmer la télé, la météo, le temps qui passe à travers la fluctuation des températures. — Merci.