Un Endroit Idéal Pour Se Cacher, des toilettes publiques, une porte cochère, un cul-de-sac assez sombre pour tenir les badauds éloignés. Tu arpentes les rues environnantes à la recherche d’un endroit où t’en faire une au plus vite. Une petite ligne, un trait, vie fait pour la route. Happé par l’urgence, tes jambes s’agitent toutes seules. Tu n’as pas besoin de grand-chose, juste un peu de solitude. Pas possible de retourner à la pension. C’est si rapide, une fraction de seconde et c’est fait. Tu cours, les yeux inquiets comme des radars, scannant la carte à la recherche d’un abri. Enfin, tu aperçois à l’angle de Prinsengracht, juste après le pont, une rue étroite isolée du reste de la ville. Accroupi à son ombre, tu écoutes La Rumeur De Cette Terrible Multitude, la preuve qu’ici et maintenant le monde vit, tu sens sa respiration, les battements de son cœur poindre à même sa peau laiteuse. Tout cela t’écoeure un peu. De dos à la rue, le visage incliné à terre, tu sors le pochon. Il est cautérisé, le plastique entortillé qui le referme est brûlé au briquet. Tes doigts grattent la croûte, ils s’énervent autour de sa cicatrice. Ton ongle décolle, déplie, ouvre. A peine une rue plus bas, on entre dans les boutiques, on essaye de nouveaux costumes, on se regarde dans un miroir et si le résultat nous plait, on sort sa carte de crédit. A peine une rue plus bas, on trempe ses frites dans la sauce cocktail et on l’arrose de bière. Tu peux entendre tous ces bruits, percevoir l’odeur de la friture et du sucre, les témoins du fourmillement de l’occupation humaine. Ta quête est différente et tu ne la partages pas avec tes contemporains. Pourquoi Aller Ailleurs Puisque Tout Est Ici ? Toi aussi, tu sors ta carte de crédit. Tu as enfin réussi à ouvrir le pochon. Il te semble moins volumineux qu’au premier abord. Tu as peur de t’être fait avoir maintenant, mais c’est trop tard pour retrouver le gars, récupérer l’argent et se tailler de ce pays. Tu trempes ton doigt dans la poudre blanche et le porte à ta langue. L’adrénaline relâche ton sphincter, un peu plus et tu te fais dessus. Tu t’en fous. La poudre mêlée à ta salive a endormi le bout de ta langue. Ce signe te fait toujours frémir. Tu imagines son chemin dans les fosses nasales. Tu ravales ta morve et cherche une surface plane pour y étaler la came avec ta carte. Le petit livre de poésie acheté dans une librairie d’occasion que tu gardes dans la poche interne de ta veste fait l’affaire. D’une main experte, tu écrases, tamises et alignes la poudre. Tu avances ton visage et aspires d’une narine en te bouchant l’autre. La sensation remonte les parois de tes narines, glisse dans ta gorge, endormant tes organes au passage. Fuir Est La Seule Solution disent-ils. Oui, ils ont raison penses-tu, tu n’es pas de taille à lutter contre le monde. Plus jeune, tu aurais voulu qu’on t’enferme : dans un monastère ou un hôpital psychiatrique. Aucun des deux n’avaient voulu de toi. Alors comme ça tu claudiques entre deux réalités, prétendant appartenir à l’une et fuyant une autre que tu chéris. Où es-tu en attendant ? Il Mène à L’Inattendu: tu n’es prêt qu`à ça, rien à perdre, rien à gagner.
Très beau texte. La dérive urbaine d’un toxicomane.
Les lanceurs semblent être faits pour le personnage.
Merci Irène !